Lignes quotidiennes

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samedi 26 mars 2011

La chronique du blédard : Petite farandole de polluriels


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Le Quotidien d'Oran, jeudi 23 mars 2011
Akram Belkaïd, Paris
 
Ils agacent les internautes. Ils désespèrent ceux qui consultent leur messagerie de manière compulsive dans l'attente d'une bonne nouvelle ou d'une bonne surprise. Ils sont le fléau de la communication électronique et on se rend compte de leur nuisance quand on apprend que des économistes cherchent à calculer l'énergie consommée et les quantités de gaz à effet de serre émises pour les effacer. Une calamité... On dit ainsi que neuf courriels sur dix sont en réalité des pourriels - ou polluriels -, termes que tout écrit de langue française se doit de préférer à celui de spam. Pourtant, cette chronique entend en mettre quelques uns à l'honneur. Pour le plaisir de parler de ce qui est inutile. Pour s'aérer un peu l'esprit en ces temps de grandes incertitudes.

Premier message. Madame Martina, conseillère commerciale, m'exhorte à me connecter sur un site pratiquant des prix imbattables sur les montres de luxe. Elle me précise que les remises sur certaines marques de renom sont de l'ordre de 80 à 90%. Enfin, elle me jure en grandes lettres que ce site n'écoule aucune contrefaçon « par respect des lois en vigueur ». Je n'irai pas sur le site en question mais je réponds à Madame Martina en lui conseillant de s'adresser à Nicolas Sarkozy et à Jacques Séguéla.

Deuxième message. Toujours une expéditrice, dénommée Irina cette fois (il faut peut-être lancer une étude pour vérifier la corrélation entre prénoms slaves et spams). Voici la traduction de la missive rédigée dans un anglais plus qu'approximatif. « Bonjour, je suis jeune fille de 21 ans. J'habite dans pays de grosses difficultés politiques et économiques. Mon but dans la vie est être épouse aimante avec homme sérieux de France, de Grande-Bretagne ou de l'Amérique. Je suis blonde et vierge ». J'explique à Irina que, malheureusement, je ne peux rien faire pour elle et je lui conseille d'envoyer son courriel à Silvio Berlusconi. D'ailleurs, je fais la même recommandation pour un certain Ianko, qui souhaite me vendre deux kilogrammes (pourquoi deux ?) de viagra « à des prix affolants ».

Le troisième courriel fait partie de ceux que la messagerie incite à ne pas ouvrir avec la formule suivante : « Ce message peut ne pas provenir du destinataire indiqué. Evitez de suivre les liens qu'il contient ou de fournir des informations personnelles à son expéditeur ». Il s'agit d'une proposition commerciale en provenance de la société Sun Tchou Trade Co laquelle recherche un « honnête représentant » qui sera rémunéré 10% sur ses ventes de lingerie. Détails demandés : le nom, le prénom, l'adresse et le numéro de téléphone. Tentative classique de vol d'identité mais, là aussi, je réponds en conseillant de s'adresser à Belhassen T. ou à sa sœur Leïla T. en précisant néanmoins que le pourcentage exigé sera au minimum de 150%.

Le quatrième message m'est adressé, ainsi qu'à au moins dix millions d'internautes (estimations à la louche), par un certain Robert Detler. Contre dix dollars américains, il propose de m'envoyer un dossier secret de la Nasa à propos de la planète Mars. Robert, qui a travaillé - c'est lui qui le dit - comme contrôleur du programme spatial à destination de la planète rouge, affirme que l'agence américaine a caché des choses au public et même à Ronald Reagan (pourquoi lui ?). Je ne suis pas suffisamment expert en informatique mais je suis sûr qu'il y a moyen de vérifier si ce message n'a pas été envoyé par l'un des frères Bogdanoff.

La lecture du cinquième message déclenche une bouffée d'espoir. Terminée la course au feuillet, je vais devenir riche ! Monsieur Ba me propose une affaire en or. Il y a 500.000 dollars à récupérer dans une banque de Dakar. Le titulaire du compte serait « un ancien dictateur qui n'est plus de ce monde ». Pour empocher la moitié du magot, je n'ai qu'à avancer 5.000 dollars « pour frais de dossier ». Ah, la bonne vieille lettre nigériane, encore appelée scam (ruse en anglais) ou bien encore « la 419 », du nom de l'article de loi au Nigeria qui interdit (en vain) cette pratique. Il paraît que l'arnaque remonte au temps des Croisades et qu'elle a sans cesse été adaptée au fil du temps. J'ai quelques échanges avec monsieur Ba qui me propose même de me déplacer à Dakar pour toucher l'argent. Puis, lassé, je finis par envoyer le message suivant :
« Cher Monsieur. Je suis vraiment désolé, mais un contretemps m'oblige à partir en voyage. J'ai donc transmis votre offre à un ami qui travaille à la police fédérale européenne. Il va vite prendre contact avec vous. Je suis certain que vous ferez de bonnes affaires ensemble ». Depuis, monsieur Ba me fait la tête...

Sixième message. Il m'est annoncé par Cicekopamu5668 - drôle de prénom - que « Jennifer, Amanda et Britney veulent absolument discuter » avec moi sur un forum dont je n'ai jamais entendu parler. Il me suffit juste de m'inscrire et d'envoyer une photo. Pas le temps de répondre. Idem pour Siemens58giy qui me dit : « Vous pouvez assister au bouleversement du monde de loin, en tant que simple observateur, ou bien vous pouvez vous y joindre et vivre les réalités du village planétaire, augmenter votre fréquence cardiaque et subir des poussées d'adrénaline. Le forex, ou marché des changes, est l'un des marchés les plus dynamiques, alors il y a toujours une possibilité pour vous de gagner. Cliquez ici et commencez à gagner de l'argent !». Tiens, je pensais que la crise avait fait disparaître les arnaques aux marchés financiers.
 
Dernier pourriel. Surprise. C'est un message normal, capturé par erreur par l'anti-spam. Que me dit l'expéditeur, chercheur d'origine algérienne que j'ai croisé une ou deux fois lors de colloques inutiles sur la Méditerranée ? Texte : « Cher ami, je te propose que nous nous retrouvions autour d'un verre. Tu sais que je suis sympathisant UMP (en fait, non, je ne le savais pas). Il y a un projet de création d'une Union des Français Musulmans pour faire entendre notre voix (laquelle ?). Cela m'intéresserait d'avoir ton avis ». J'ai envie de répondre par un seul mot : « tfouh !» (on n'a pas encore inventé le glaviot électronique) mais je reste sage, réalisant que ce message est bien à sa place dans le marigot des pourriels.

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