Lignes quotidiennes

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jeudi 26 avril 2012

La chronique du blédard : Le Pen en force, à qui la faute ?



Le Quotidien d'Oran, jeudi 26 avril 2012
Akram Belkaïd, Paris


Nous sommes nombreux, membres de ce que l’on appelle, à défaut et par la forces des choses, les minorités visibles, à méditer sur la signification et les conséquences du score de Marine Le Pen au premier tour de l’élection présidentielle française. Bien entendu, nous sommes d’abord attentifs aux déclarations opportunistes des uns, aux pré-compromissions des autres, aux silences gênés, aux appels du pied insistants aux électeurs du Front national, aux masques qui tombent et aux mauvaises natures qui se désinhibent. Mais avant cela, il y a tout de même ce premier constat, incontournable : ce qui vient de se passer n’est pas un accident.

L’extrême-droite, en France comme dans le reste de l’Europe, est désormais enracinée dans le paysage politique. Comme c’était encore le cas il y a quelques jours au Pays-Bas, comme en Autriche dans douze mois ou dans cinq ans en France, elle peut même prétendre à faire partie des gouvernements voire à assurer seule le pouvoir. Cette mutation n’est pas née d’hier et se contenter de l’attribuer à l’existence d’un fort sentiment de xénophobie, et d’islamophobie, relèverait d’une analyse incomplète. Dans de précédentes chroniques, j’ai déjà évoqué cette France qui souffre et qui doute, qui se sent maltraitée ou ignorée par les élites et les bobos. Cette France que la mondialisation affole, que ronge la peur du déclassement et qui peine à joindre les deux bouts quand les télévisions, TF1 en tête, et les journaux people diffusent des images d’un monde doré dont les personnages suscitent envie et colère.

Bien entendu, il n’y a pas que cela. Le Front national reste le creuset d’idées xénophobes, racistes, ouvertement islamophobes et, plus discrètement, antisémites. Pour nombre d’électeurs de Marine Le Pen, le problème ce n’est pas l’Europe et son dogme de la concurrence à outrance, les promesses sociales non tenues de Nicolas Sarkozy, l’aggravation du chômage ou l’étalage insolent de la bonne santé financière des banques malgré leur lourde responsabilité dans la crise qui dure maintenant depuis quatre ans. Non, le problème pour ces électeurs, c’est l’étranger surtout s’il est bronzé. C’est lui qui focalise l’attention, la rancœur mais aussi la peur. Et c’est donc lui qui est déjà le premier thème de convergence entre une droite dite républicaine désormais prête à tout pour sauver ses circonscriptions et une droite brune que l’on sent euphorique. En clair, la première ne va plus se contenter d’essayer d’être, de temps à autre, la copie de la seconde. Elle va essayer de se fondre en elle. « Il y aura toujours une croix de Lorraine entre eux et nous » a pourtant dit un jour Alain Juppé à propos du Front national. La vérité est que cette croix est enterrée et avec elle ce qui restait encore du gaullisme.

On sent donc une mécanique du pire qui se met en place. Et ce n’est pas l’élection probable du candidat socialiste qui changera la donne (d’autant qu’il ne peut l’être que si Marine Le Pen décide de faire perdre Sarkozy…). Cette élection offrira un répit de cinq année car tout le monde sait que la présidentielle et les législatives de 2017 ont déjà commencé. Dans ce contexte, et pour en revenir aux réactions des uns et des autres, il est bon et rassurant de voir et d’entendre qu’il existe encore une France droite dans ses bottes. Une France qui refuse l’extrémisme, qui défend âprement les droits de ses citoyens d’origine étrangère ou ceux des immigrés qui vivent sur son sol. Accuser tous les Français de racisme, comme j’ai pu le lire dans certains titres de la presse algérienne et arabe, est stupide et insultant à l’égard de millions d’hommes et de femmes qui gardent leur porte ouverte à l’Autre et qui continuent de croire en l’humanisme et la fraternité.

La vraie question les concernant est de savoir s’ils seront encore aussi nombreux en 2017. Encore une fois, il ne s’agit nullement de douter de leurs convictions. Mais il suffit d’examiner les cartes de France qui détaillent l’évolution du vote pour le Front national pour comprendre. En vingt ans, des régions jadis connues pour leur hospitalité, leur ancrage à gauche et leur rejet des idées xénophobes, ont peu à peu changé. La Bretagne, le Nord, le Sud-ouest, terres d’accueil et de partage, sont autant de citadelles où Marine Le Pen réalise des percées historiques même si elle reste encore contenue par le vote républicain. Comment l’expliquer ? On peut, à raison, en revenir à ce qui a été dit au début de ce texte. La désespérance, la violence économique et sociale, le chômage, le comportement désinvolte des élites politiques, les promesses électorales non tenues, les fermetures d’usines qui, pourtant, gagnent de l’argent, le tout accentué par l’inclinaison bling-bling du président sortant. Oui, mais est-ce tout ?

Non. On ne peut se pencher sur la question de la montée en force du Front national sans aborder celle du comportement inadmissible d’un certain nombre de Français dont les parents ou grands-parents sont d’origine étrangère. En octobre 2001, et je l’avais déjà écrit à l’époque, les imbéciles et autres voyous qui avaient sifflé la Marseillaise et envahi le terrain pendant le match de football France-Algérie ont contribué à la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle d’avril-mai 2002. Ce n’est pas faire preuve d’indulgence pour l’extrême-droite que d’écouter les témoignages de celles et ceux qui n’en peuvent plus des incivilités, des insultes et autres actes de violence gratuite. Il faut écouter les témoignages de militants engagés dans la lutte contre les inégalités et le Front national mais qui avouent leur incompréhension, si ce n’est leur agacement, quand ils entendent des discours de haine à l’égard de la France et des Français de souche.

Quand on arrache les drapeaux français du fronton de la mairie de Toulouse pour les remplacer par ceux de l’Algérie, on fait monter le Front national et on désespère ceux qui le combattent. Même chose lorsque l’on déploie un drapeau algérien ou tunisien pendant un meeting de François Hollande ou de Jean-Luc Mélanchon. A quoi cela rime-t-il si ce n’est de conforter le discours de l’extrême-droite sur l’invasion maghrébine et de mettre dans la gêne celles et ceux qui la combattent ? 

Il faudra bien, et le plus vite sera le mieux, que cette question soit débattue au sein même de ces fameuses minorités visibles. Se réfugier derrière l’excuse, certes réelle et il n’est pas question de la minimiser, des discriminations et de la ségrégation spatiale et sociale, ne suffit plus en ces temps où le Front national est au seuil de l’Elysée. A défaut, 2017 risque fort d’être l’année de grandes désillusions, de graves déchirements et de punitions collectives où des Français d’origine étrangère n’ayant rien demandé à personne paieront pour les excès et outrances d’irresponsables incapables de voir la menace qui se profile.

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