Lignes quotidiennes

Lignes quotidiennes
Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

mercredi 31 octobre 2012

Désenchantement Tunisien

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Que des Tunisiennes et des Tunisiennes en viennent à chercher refuge auprès des écrits de Mezri Haddad en dit long sur leur désenchantement...


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lundi 29 octobre 2012

La chronique économique : Le Proche-Orient, Caterpillar et le marché pétrolier

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Le Quotidien d'Oran, mercredi 24 octobre 2012
Akram Belkaïd, Paris

Comment fonctionnent les marchés pétroliers ? Au-delà de la confrontation entre offre et demande, à quelle logique obéissent-ils ? Répondre avec honnêteté à cette question n’est pas simple. Au-delà de la nécessité d’analyser plusieurs facteurs, souvent interdépendants, il faut aussi croire dur comme fer, ou faire semblant de croire, à l’existence d’une rationalité à toute épreuve y compris en ce qui concerne les tendances les plus contradictoires.

Le Proche-Orient, l’explication passe-partout

Prenons par exemple, ce qui s’est passé sur le marché pétrolier le lundi 22 octobre. En début de séance, à Londres puis, plus tard à New York, les cours du brut ont progressé en raison, selon les analystes, des tensions au Proche-Orient. La guerre civile en Syrie, les troubles au Liban, l’incertitude politique en Egypte sans oublier le dossier du nucléaire iranien, tout cela constitue autant de facteurs haussiers. La chose n’est pas nouvelle et cela fait déjà plusieurs décennies que l’on explique les mouvements erratiques du marché pétrolier par les différents bruits de botte au Proche-Orient.

On relèvera au passage que les points chauds cités ne contribuent guère, ou si peu, à l’offre mondiale d’hydrocarbures. Certes, la Syrie produit de l’or noir et l’Egypte du gaz naturel, mais il est tout de même étrange que des troubles dans ces pays soient systématiquement assimilés à des menaces contre les champs pétroliers de la péninsule arabique et donc contre l’approvisionnement d’une bonne partie de la planète. Ce raccourci géographique équivaut à ce que des troubles en Espagne fassent craindre le pire au Danemark…Mais passons et revenons à la séance du lundi 22 octobre.

Ce jour-là, les cours ont finalement terminé en baisse, le WTI perdant 1,32 dollars à 88,73 dollars et le Brent reculant de 0,7 dollars à 109,44 dollars. Pourquoi un tel repli sachant que la situation au Proche-Orient ne pouvait s’être améliorée en quelques heures ? L’explication avancée par les opérateurs est la suivante : c’est la publication des résultats trimestriels du groupe Caterpillar, premier constructeur mondial d’engins de chantier, qui a inversé la tendance. Il faut savoir que cette entreprise est considérée comme un baromètre de l’industrie mondiale et que la publication de ses résultats est un moment toujours attendu par le marché. Et quand Caterpillar cite la faiblesse de l’économie en Europe et un ralentissement en Chine comme facteurs responsables de la baisse attendue de ses revenus au quatrième trimestre, les opérateurs en déduisent que l’économie mondiale va encore ralentir et, donc, que la demande en pétrole va chuter (ce qui au final, a poussé les prix du brut à la baisse).

Des mouvements plus moutonniers

Voilà donc pour la logique apparente car, on s’en doute, les choses sont bien plus compliquées sachant notamment qu’un marché est aussi une somme d’anticipations. Ainsi, il est certain que de nombreux opérateurs s’attendaient depuis longtemps à ce que Caterpillar annonce des résultats mitigés et qu’ils ont pris des dispositions pour profiter de l’inévitable recul des cours qui allait suivre cette publication. En clair, les explications avancées au fil des séances ne sont pas toujours pertinentes et le comportement vendeur ou acheteur des investisseurs répond à des stratégies bien plus compliquées. Ou bien, diront les esprits lucides, à pas de stratégie du tout sauf à suivre un mouvement moutonnier où chacun cherche à copier les anticipations du voisin… 
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vendredi 26 octobre 2012

L'Europe ne mérite pas son prix Nobel

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SlateAfrique, jeudi 25 octobre 2012

Le prix Nobel de la paix accordé à l’Union européenne a provoqué nombre de commentaires acerbes, voire sarcastiques, au Maghreb et notamment en Algérie.

Le drapeau de l'Europe devant le siège de la Commission européenne, Bruxelles, octobre 2012. © REUTERS/Yves Herman
L'AUTEUR
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L’une des réflexions parmi les plus récurrentes, en Algérie, a été de rappeler le passé colonial de bon nombre de pays européens, à commencer par la France et la Grande-Bretagne, et de se demander si la décision des sages d’Oslo ne devrait pas être interprétée comme une officialisation de la sortie du vieux Continent de son purgatoire postcolonial.
A l’heure où la France n’en finit pas de refuser de regarder son passé algérien en face (comme viennent de le montrer les polémiques liées à la reconnaissance par François Hollande des massacres du 17 octobre 1961), et à l’heure où la justice britannique accepte d’ouvrir le dossier sensible de la répression des Mau Mau au Kenya, ce prix Nobel peut donc apparaître comme un quitus accordé par l’Europe «sage et vertueuse», c'est-à-dire celle du Nord, qui n’a presque rien à se reprocher en matière d’aventures coloniales.
On peut se demander aussi à partir de quel moment on devient éligible à un prix de ce genre et pour combien de temps.

Le Vieux Continent n'a pas toujours été exemplaire

Certes, il y a bien longtemps que l’Europe ne se déchire plus par les armes. Mais a-t-on déjà oublié le conflit des Balkans où l’Union européenne (UE) a été incapable d’imposer la paix?
A bien des égards, les Etats-Unis, qui ont pesé de tout leur poids pour ramener le calme dans la région et mettre au pas le régime serbe de Milosevic, mériteraient d’avoir une part de ce prix.
Non seulement l’Europe a tergiversé, traversée qu’elle était par des soutiens antagonistes aux acteurs du conflit, mais elle a aussi été incapable d’empêcher l’OTAN (Organisation du traité de l'Atlantique Nord) d’être le maître d’œuvre des actions militaires sur son propre sol.
Voilà qui relativise un peu cette image de douce quiétude dont on veut entourer aujourd’hui l’Europe et cela par opposition à un reste du monde, de plus en plus globalisé et de moins en moins sûr.
On cite souvent avec émerveillement l’exploit réalisé par les Européens en matière de reconstruction et d’intégration régionale, malgré des siècles de guerre.
Il faut reconnaître que l’Union européenne reste une belle réussite quand on prend pour point de départ l’état du continent en 1945.
Mais, à ce moment-là, ce sont les «pères de l’Europe» qui mériteraient le prix Nobel, c'est-à-dire l'Allemand Konrad Adenauer, le Luxembourgeois Joseph Bech, le Néerlandais Johan Willem Beyen, l'Italien Alcide De Gasperi, les Français Jean Monnet et Robert Schuman et le Belge Paul-Henri Spaak.
On pourrait aussi admettre que la récompense aille aux continuateurs de leur œuvre, c'est-à-dire des personnalités comme l’Allemand Walter Hallstein, premier président de la Commission européenne, l’Italien Altiero Spinelli, inspirateur d’un projet de «traité sur l’Union européenne», en 1984, ou encore le Français Jacques Delors, président de la Commission européenne de 1985 à 1995.
De même, ce prix aurait fait sens si Helmut Kohl, Helmut Schmidt et Valéry Giscard d’Estaing, avaient été (collectivement) récompensés en tant que moteurs du couple franco-allemand, car, c’est connu, ce qui rapproche l’Allemagne et la France, contribue à une Europe plus forte.
A l’inverse, les dirigeants européens actuels sont loin d’être à la hauteur du projet initial. Incapables de voir plus loin que leurs frontières nationales, ils transforment petit à petit l’Europe en espace de chicaneries qui ne fait rêver personne.
Bien au contraire, la question européenne commence à illustrer les limites de l’ouverture et de la mutation des Etats nations en ensembles transfrontaliers.

L'un des plus grands vendeurs d'armes au monde

On a donc un peu l’impression que ce prix est une sorte de récompense de la dernière chance destinée à encourager les Européens à se réveiller, à ne pas mettre fin au programme Erasmus(l’une des rares manifestations concrètes de l’évolution pacifique de l’Europe à l’intérieur de ses frontières) et, au final, à œuvrer pour une vraie union.
Mais il y a plus important. Peut-on donner un prix Nobel de la paix à une instance, l’Union européenne, dont plusieurs membres (France, Allemagne, Italie et Grande-Bretagne) figurent parmi les plus grands vendeurs d’armes au monde?
La paix à l’intérieur, mais les armes pour l’extérieur ou parfois même pour l’intérieur comme en témoigne les ventes allemandes d’armements à une Grèce qui reste encore, et quelles que soient les circonstances, obnubilée par la menace turque...
Et parlons donc de cette paix intérieure. Oui, c’est vrai, les armes se sont tues mais un autre conflit divise et menace de détruire l’Union européenne. Il s’agit de la guerre économique à laquelle se livrent ses membres. Prenons l’Allemagne.
Voilà un pays dont l’excédent commercial ne cesse de gonfler, mais cela se fait au détriment de ses partenaires européens et souvent sur des marchés eux-mêmes européens.

Menaces de guerre économique et de violence sociale

Que penser aussi de ces pays qui abaissent leur fiscalité pour favoriser les délocalisations sur leur sol?
Les morts des terribles guerres napoléoniennes ainsi que ceux des deux conflits mondiaux appartiennent à l’histoire. Mais ceux qui leur ont succédé dans la tourmente du malheur s’appellent aujourd’hui les chômeurs.
Mérite-t-on un prix Nobel de la paix quand on laisse s’installer chez soi une telle violence sociale? La question mérite d’être posée et il faudra bien un jour chiffrer le bilan de l’option libérale imposée peu à peu par Bruxelles.
A ce long réquisitoire contre l’attribution de ce prix, il faut tout de même relever un point positif majeur.
L’Europe a aboli la peine de mort et tente de faire comprendre à ses partenaires l’importance d’une telle démarche. C’est son grand mérite et cela donne quelques arguments à ceux qui qualifient son prix Nobel d’incitation à l’exemplarité.
Aujourd’hui, malgré tous ses travers, l’Europe est la région au monde qui défend le plus le «droit aux droits», c'est-à-dire cette exigence fondamentale qui permet la démocratie.
Et c’est parce que ce «droit aux droits» est mis en danger par les Européens eux-mêmes (droit au travail et à la santé pour tous, etc.) qu’il aurait fallu attribuer cette distinction avec la mention «à confirmer» en guise de réserve majeure.

Akram Belkaïd
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La chronique du blédard : Des intellectuels et de la Guerre d’Algérie

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 25 octobre 2012
Akram Belkaïd, Paris



Huit années de guerre et de malheurs mais aussi huit années de prises de positions, de batailles intellectuelles âpres et incessantes, d’évitements et de ruptures. C’est peu dire que la Guerre d’indépendance a été celle des écrits : un conflit marqué par la multiplicité d’engagements d’intellectuels venus d’horizons divers. C’est ce que rappelle avec mérite un ouvrage réalisé dans le cadre de l’exposition « Engagements et déchirements, les intellectuels et la guerre d’Algérie » produite par l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (IMEC) et présentée récemment à l’abbaye d’Ardenne (*).

Archives inédites, manuscrits, tracts, tapuscrits mais aussi articles de presse annotés, bulletins, dessins, photos : au total, le livre comporte 350 documents annotés, souvent inédits, et dont l’enchaînement permet de retracer la grande bataille des idées et des choix individuels pendant la période 1945-1968, c'est-à-dire un intervalle allant des prémisses de la guerre aux lendemains de l’indépendance. Avec une première constatation, cette opposition d’engagements ne correspondait à aucun schéma prédéfini. Comme l’expliquent Catherine Brun et Olivier Penot-Lacassagne, les deux universitaires auteurs du livre et de l’exposition, « l’opposition manichéenne et réductrice d’une gauche indépendantiste et d’une droite pro-Algérie française, tardivement formée, doit être revisitée » car, en réalité, ce fut tout sauf un affrontement binaire entre la gauche et la droite, notamment durant les quatre ou cinq premières années du conflit.

Lire cet ouvrage, c’est découvrir, ou redécouvrir, un nombre important de documents dont la portée, à la fois visionnaire et militante, subsiste à ce jour. On pense notamment aux manuscrits d’auteurs célèbres comme ceux des poèmes de Kateb Yacine (« Quand je pense à Zabana » et « Mourir ainsi c’est vivre », qui est un puissant hommage à Frantz Fanon, Jean Amrouche et Mouloud Feraoun). On pense aussi à la fameuse « Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie », plus connue sous le nom de « Manifeste des 121 » (En septembre 1960, ils furent 121 écrivains, universitaires et artistes à le signer parmi lesquels Simone de Beauvoir, André Breton, Margueritte Duras, Claude Lanzmann, Jean-Paul Sartre, Vercors et Pierre-Vidal Naquet. Ils ont été 240 à signer la seconde édition).

Comme le montre l’ouvrage, ce manifeste, aujourd’hui très peu connu en Algérie, a fait l’objet d’un gestation difficile, compliquée par les hésitations et exigences conceptuelles et idéologiques de certaines personnalités sollicitées pour le signer (dont René Char et Aragon, qui, au final, n’y adhéreront pas tout en se disant solidaires de ses signataires). Surtout, ce texte a semé la discorde au sein de l’intelligentsia française, provoquant, dès octobre 1960, un contre-manifeste de 185 intellectuels français, dont certains de gauche, condamnant « les professeurs de trahison » et « les apologistes de la désertion ».

Comme le rappellent Catherine Brun et Olivier Penot-Lacassagne, les signataires du Manifeste des 121, sont alors « interdits d’antenne radio et de télévision, de théâtre et de cinéma subventionnés ; ils sont assignés à résidence en France, et certains, qui ont le statut de fonctionnaire, sont suspendus de leur poste comme Pierre Vidal-Naquet ou révoqués comme Laurent Schwartz, professeur de Polytechnique ». On notera que, dans l’histoire de France, c’est le dernier exemple en date d’une répression aussi dure et aussi large menée par l’Etat contre des intellectuels. Il serait d’ailleurs intéressant de voir jusqu’à quel point les lignes de fracture engendrées par cette bataille – au demeurant très tardive puisqu’elle s’est déroulée près de six ans après le début de la guerre ( !) – subsistent à ce jour.

Autre remarque, à lire l’ouvrage – et en se gardant de toute position partisane – on réalise à quel point l’argumentaire pro-colonial a été pauvre, voire indigent, sur le plan intellectuel. Les références auxquelles il faisait appel relevant souvent de la fable (celle d’une « Algérie heureuse » avant les évènements et fin prête pour la « fraternisation »), d’une idéologie simpliste (ne pas abandonner l’Algérie aux rouges et aux fanatiques musulmans…), d’une incitation récurrente à attendre un meilleur à-venir (une Algérie juste pour tous) et d’une incapacité à accepter l’idée que la France n’était déjà plus une grande puissance. Pour s’en rendre compte, et sans avoir à convoquer Camus, Fanon ou même Claude Bourdet (ancien résistant et auteur, dès 1951, de « Y –t-il une gestapo algérienne ? »), on peut comparer le contenu de l’Appel du Comité d’action contre la poursuite de la guerre en Afrique du nord (novembre 1955) à celui de la « lettre d’un intellectuel à quelques autres » de Jacques Soustelle (même période).

L’un des multiples intérêts du livre est qu’il permet de recenser toutes les grandes figures intellectuelles de l’époque et la manière dont elles ont participé aux débats à propos de la guerre d’Algérie. Sans faire injure ni aux uns ni aux autres, le lecteur, une fois achevé ce grand tour d’horizon, pourra alors circonscrire le champ de sa réflexion en pistant les itinéraires entrecroisés de quatre algériens : Albert Camus s’impose, bien sûr, avec ses atermoiements, sa volonté précoce (dès 1945) d’être à la fois « une vigie » mais aussi « un modérateur » et, pour finir, son silence solitaire (l’ouvrage reproduit le facsimilé de sa lettre mémorable à Jean Amrouche où il exhorte ce dernier à la modération tout en lui confirmant sa décision de sortir du débat sur l’Algérie).  A Camus, s’adjoignent comme une évidence Kateb Yacine, Jean Sénac et Jean Amrouche. Il sera difficile de faire abstraction des autres contributions comme de ce qu’est devenue l’Algérie depuis cette époque mais l’exercice n’en sera pas moins instructif.

Quelle surprise – mais peut-être est-ce là le fait de l’ignorance du présent chroniqueur- que de découvrir que des quatre, Jean El-Mouhoub Amrouche fut certainement à la fois le plus clairvoyant et, si l’on peut s’exprimer ainsi, le « mieux » engagé car le plus lucide quant à l’avenir immédiat d’une Algérie indépendante. Certes, Sénac fut intraitable sur la question des droits des Algériens. L’un des documents de l’ouvrage montre ainsi que Kateb Yacine doit le dissuader de s’en prendre directement à Albert Camus et à ses hésitations. Une retenue qui s’explique par des considérations « tactiques » mais aussi par l’indulgence respectueuse que Kateb éprouvait à l’égard de Camus (c’est ce que laisse paraître un document du livre reproduisant une lettre du premier au second).

De nationalité française, parfaitement « assimilé » dira-t-on, Jean Amrouche prend ses distances avec Camus dès 1955 comme l’atteste la reproduction d’une lettre adressée à Jules Roy au mois d’août de la même année. « Il y aura un peuple algérien parlant arabe, alimentant sa pensée, ses songes, aux sources de l’islam, ou il n’y aura rien » avertit alors Amrouche et d’ajouter : « Ceux qui pensent autrement retardent d’une centaine d’années. Le peuple algérien se trompe sans doute, mais ce qu’il veut, obscurément, c’est constituer une vraie nation, qui puisse être pour chacun de ses fils une patrie naturelle, et non pas une patrie d’adoption. »

L’Algérie est aujourd’hui indépendante mais cela ne la dispense nullement de regarder son passé. La Guerre d’indépendance a divisé l’intelligentsia française, et des Français et des Françaises ont pris parti pour l’indépendance algérienne : cela mérite d’être mieux connu en Algérie. Il faut donc espérer que ce livre sera non seulement accessible aux lecteurs algériens (avec, pourquoi pas, une édition locale) mais qu’il sera aussi traduit en langue arabe, seul moyen d’établir un lien et une continuité avec les jeunes générations, lesquelles n’ont de cette guerre qu’une vision lointaine et manichéenne.

(*) Du 14 juin au 14 octobre 2012. L’ouvrage dont le titre est le même que celui de l’exposition, Engagements et déchirements, les intellectuels et la guerre d’Algérie, est publié par les éditions Gallimard et l’IMEC, 260 pages, 39,90 euros.
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dimanche 21 octobre 2012

Poitiers, en attendant des pogroms anti-musulmans ?

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A en croire les dépêches d’agence, la quasi-majorité de la classe politique française aurait fait part de son indignation après l’occupation du chantier de la mosquée de Poitiers par un groupuscule d’extrême-droite. La belle affaire… Attendons d’abord un peu avant de saluer un tel unanimisme. Dans les prochaines heures ou dans les prochains jours,  il se trouvera bien un politicien pour nuancer cette sévérité et trouver des circonstances atténuantes à ces extrémistes qui se réclament du bloc identitaire. Il se trouvera bien quelques éditorialistes ou intellectuels médiatiques pour réinjecter le poison de l’islamophobie dans le débat public français.

Car l’occupation du chantier de la mosquée de Poitiers n’est pas un acte isolé. Elle s’inscrit dans une longue liste d’actions et de déclarations visant à dénigrer les musulmans de France et à engranger des bénéfices électoraux sur le dos d’hommes et de femmes qui se demandent d’où viendra le prochain coup. Le discours politique islamophobe, à droite comme à gauche, le pilonnage frénétique des médias (témoin cette journée spéciale de France Inter, radio publique…, sur l’islamisme radical), les petites phrases des politiques chez qui l’islam semble être une obsession, les écrits démentiels (et, finalement, si peu décriés) d’un éditeur français qui magnifie le massacre d’Oslo : tout cela a créé les conditions idéales pour qu’arrive ce qui s’est passé à Poitiers. En attendant la suite qui risque d’être pire.

L’acte d’accusation est clair et ne doit souffrir d’aucune ambiguïté : une partie de la classe politique française accompagnée par des médias et des intellectuels inconséquents, sont en train de jouer avec le feu et, consciemment ou non, sont en train de favoriser (peut-être même l’espèrent-ils, allez savoir) la réalisation d’un acte irréparable aux conséquences incalculables. Que veut-on ? Qu’espère-t-on ? Des pogroms anti-musulmans auxquels répliqueraient des actes de violence aveugle ? Des ratonnades qui appelleraient vengeances et représailles ? Que croit-on qu’il arrivera si, demain, un extrémiste s’introduit, arme à la main, dans une mosquée à l’heure de la prière pour s’en prendre à des fidèles au nom de la lutte contre la prétendue islamisation de la France et de l’Europe ? A Poitiers, la communauté musulmane a gardé son calme et n’a pas réagi avec violence à la provocation. Rien ne dit que telle retenue est durable.

Ce qui vient de se passer à Poitiers, prouve que les germes d’un affrontement à l’intérieur de la nation française existent. Ceux qui s’en prennent aux musulmans – à tous les musulmans et pas seulement aux islamistes radicaux – savent que, parmi ces derniers, certains n’accepteront pas de tendre l’autre joue après avoir encaissé. C’est sur cela que comptent les attiseurs de haine pour entraîner le pays dans un cycle de violences sans fin. Plus que jamais, la retenue et le dialogue apaisé sont nécessaires. Mais que peut-on attendre d’une classe politique d’une médiocrité sans pareil et de médias prépondérants persuadés que la course à l’audience passe nécessairement par le fait d’entretenir la peur et la stigmatisation des musulmans ?

Akram Belkaïd
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vendredi 19 octobre 2012

La chronique du blédard : Dans le bus

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 18 octobre 2012
Akram Belkaïd, Paris 

Paris, octobre, ciel gris et averses en cascades. Hélas, pas de belle arrière-saison, expression préférable à celle d’été indien, usée et faisant partie des lieux communs, explique un bon usage de la langue française. Paris, donc. Huit heures du matin. Le quai du métro est bondé. Problème de signalisation, répète à intervalles réguliers une voix féminine. Comme à chaque fois qu’il pleut, maugréent les grappes humaines qui n’ont pas d’autres choix que d’attendre. Moins pressés ou tout simplement impatients, certains, et parmi eux le présent chroniqueur, remontent à la surface.

Marcher, enfourcher un vélo ou attraper un bus, tels sont les choix qui s’offrent à eux. Les deux premiers sont vite abandonnés car la pluie est trop forte et, de toutes les façons, aucun vélib’ n’est disponible. Attendons alors le 80 ou le 39. Un panneau d’affichage à cristaux liquide annonce que l’un arrive dans huit minutes et dans douze pour l’autre. Soupirs bruyants, gestes de découragement, mines presque aussi sombres que le ciel. Huit minutes… Une éternité gaspillée dans la cavalcade quotidienne. Courrons, courrons, montre en main, secondes à l’esprit, notre chefaillon nous attend…

Le bus arrive. Frémissement dans la petite masse compacte. Le rush (le guide lui préfère celui, pourtant moins évocateur, d’afflux) se prépare. Les dos se crispent, les corps s’expriment en silence, signifiant qu’ils ne céderont pas d’un pouce. Le dernier à monter est un jeune homme, de ceux auxquels la presse inutile consacre de volumineux dossiers publi-rédactionnels en les qualifiants de métrosexuels (en bref, de jeunes mâles citadins qui prennent soin de leur aspect extérieur avec force épilations et produits cosmétiques). Bien décidé à ne pas mouiller sa mise en pli travaillée à l’épi gélifié près, le concerné ne consent à refermer son parapluie qu’une fois à l’abri.

Rabattu d’un geste sec, le pépin (de couleur rouge car un métrosexuel ne saurait s’afficher avec un vulgaire parapluie de couleur noire) asperge quelques voyageurs et manque même d’aveugler une dame aux cheveux dégoulinants. L’occasion pour elle de protester. De crier bien fort qu’elle en a assez de ce genre de comportement. Qu’elle est fatiguée et qu’elle trouve anormal que les deux collégiennes maussades occupées à tapoter sur leurs téléphones, dits intelligents, ne lui cèdent pas la place. Moments de flottement dans le bus. Affairements exagérés, regards entendus, têtes qui se détournent, faux détachements… L’une des collégiennes finit par se lever tandis que le jeune homme n’en finit pas de hausser les épaules.

Et voici qu’un autre usager, déjà assis, se met en tête d’ouvrir une fenêtre. Concert général de protestations. La pluie va entrer, dit l’un. Je n’ai pas envie de tomber malade, crie l’autre. De l’air ! se défend le voyageur qui a la mine bien pâle. Il est vrai que la longue boite roulante (au gaz naturel) ressemble à une étuve malodorante. Finalement, l’un des protestataires lit à voix haute une consigne affichée en petits caractères. En cas de pluie et de désaccord entre voyageurs, est-il dit, raison est donnée à ceux qui souhaitent que la fenêtre demeure fermée. Tant pis pour le renouvellement de l’air et la dispersion des mauvaises odeurs.

Ah, les messages destinés à instaurer la convivialité entre usagers à bout de nerfs. « Plus de respect mutuel et de courtoisie permettent à tous de mieux voyager ensemble ». Des messages qui servent aussi à rappeler ses devoirs à l’usager tel ce « qui valide, voyage l’esprit léger » (quelle niaiserie !) ou encore à mettre en garde contre les vols fréquents, et avec violence, de téléphones portables. Bientôt, c’est sûr, de nouveaux textes collés contre les vitres alerteront contre la multiplication de vols par arrachage de casques, ces onéreux accessoires qui témoignent de la volonté des Parisiens, jeunes et moins jeunes, de s’isoler, d’empêcher toute possibilité de contact ou de discussion. La convivialité bien fragile, le devoir de l’usager, la peur et l’isolement volontaire : voici ce que raconte ce bus matinal.

A l’extérieur, il pleut de plus belle. La circulation est dense. Le chauffeur use et abuse des freinages brutaux, véritable marque de fabrique des conducteurs de bus parisiens. Personne ou presque ne proteste malgré deux ou trois chutes et quelques contorsions brutales pour se rattraper au cou du voisin. Impossible de lire, luxe réservé aux rares places assises. Fermer les yeux, pencher la tête en avant et, au risque de passer pour un pochtron matinal, tenter quelques micro-siestes.

Mais voici que montent des contrôleurs. Trois devant, autant à l’arrière et deux au milieu. Très vite, vient l’inévitable altercation. Non pas celle que l’on croit où les dénégations du fraudeur prit en flagrant délit se heurtent à l’implacable fermeté du verbalisateur. C’est plutôt celle où la bonne foi est malmenée par la technologie et la civilisation du tout-contrôle. Le jeune homme au parapluie rouge a un passe navigo valide (le navigo est le sésame électronique qui a remplacé la défunte carte orange, ndc). Mais, distrait par son algarade avec la voyageuse, il a oublié de le plaquer contre l’une des bornes de validation ; ce qui équivaut à voyager sans billet ! Mon passe est valable jusqu’à la fin de l’année, hurle-t-il presque. Oui, mais vous avez oublié de le valider, le réprimande le contrôleur bien décidé à ne pas lâcher prise.

Pourquoi exiger une telle validation ? Tout simplement pour permettre à la régie des transports parisiens (ratp) d’amasser des montagnes de statistiques, et, éventuellement même si elle s’en défend, de savoir qui voyage, comment et pendant combien de temps. Au moment de sa mise en service, le passe navigo a provoqué la protestation de nombreux usagers inquiets de défendre leur vie privée et leurs données personnelles, mais cela n’a guère duré. Désormais, on monte dans un bus ou dans un métro, en faisant mine d’oublier que, quelque part, dans un gigantesque disque dur, la trace de notre passage aura été enregistrée. Big Brother et la Stasi en rêvaient, l’électronique l’a fait. La convivialité bien fragile, les devoirs de l’usager, la peur, l’isolement volontaire et le flicage électronique banalisé : voici donc ce que raconte ce bus matinal…
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La chronique économique : Un Nobel pour une science non-exacte

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Le Quotidien d'Oran, mercredi 17 octobre 2012
Akram Belkaïd, Paris

Les deux américains Lloyd Shapley et Alvin E. Roth viennent donc de recevoir le Prix Nobel d’économie pour leurs travaux de modernisation de la Théorie des Jeux. Il s’agit d’un concept très large qui date du début du XXème siècle et qui, pour simplifier, fonde sa réflexion sur les systèmes de concurrence, de confrontation entre l’offre et la demande et, pour finir, de formation des prix. C’est là un domaine des plus classiques sur lequel ont travaillé des milliers d’économistes depuis les premiers écrits d’Adam Smith.

Usage intensif des mathématiques

On le sait, le thème de l’offre et de la demande, ou bien encore de l’évolution du marché, est fondamental en économie et Lloyd Shapley et Alvin E. Roth ont été récompensés pour avoir étendus leurs travaux aux domaines non-marchands, c’est-à-dire là où l’approche classique offre-demande doit prendre en compte d’autres facteurs tels que la gratuité, le bénévolat, l’intervention de l’Etat via des subventions sociales. En clair, les recherches de ces deux savants sont aussi une tentative de réponse aux nombreuses critiques qui mettent en cause les limites de l’économie moderne et son incapacité à décrire plusieurs sphères d’activités n’ayant rien à voir avec le secteur marchand habituel (là où le prix est censé être le résultat d’un ajustement parfait entre l’offre et la demande).

Comme nombre de leurs homologues, les deux économistes qui viennent d’être nobélisés basent leurs travaux sur les mathématiques. L’objectif est de modéliser l’activité économique et d’en déduire un système d’équations et de lois suffisamment exhaustif pour décrire l’évolution et le comportement de cette même activité et des différents agents qui l’accomplissent. Et c’est là qu’apparaît l’une des finalités les moins connues  du Prix Nobel d’économie. Trop souvent, ce dernier consacre des travaux et des réflexions basées sur une « mathématisation » à outrance de la discipline économique ce qui, par conséquent, a pour but de prouver qu’elle  est une science exacte. Ce qu’en réalité elle n’est pas et ce qu’elle ne sera jamais au grand dam de nombre d’économistes qui cultivent un complexe d’infériorité vis-à-vis des mathématiques voire de la physique (laquelle est une science expérimentale mais dont les théories sont bien plus proches de l’exactitude que l’économie).

On connaît la fameuse boutade : un économiste est quelqu’un qui pourra peut-être vous expliquer demain pourquoi il s’est trompé hier… Au-delà de l’ironie, il s’agit de rappeler que malgré toutes les équations et formules mathématiques dont elle se pare aujourd’hui, l’économie reste une science imparfaite, incapable de tout décrypter et, surtout de tout prévoir. Ainsi, l’usage intensif des mathématiques dans les travaux des vingt dernières années n’a pas permis de voir venir (et d’éviter) les grandes crises financières et économiques à commencer par celle qui pénalise actuellement les Etats-Unis et l’Europe. Nombre de recherches publiées en 2007 et en 2008, notamment par les économistes travaillant dans de grandes banques d’affaires, sont même aujourd’hui de véritable sujet de plaisanterie puisqu’elles affirmaient que le retour à une croissance forte était imminent.

Modifier l'enseignement de l'économie

Bien entendu, il ne s’agit pas de déconsidérer l’économie ou de lui interdire l’usage des mathématiques. Mais, l’enjeu pour elle est de reconnaître ses limites ; d’accepter l’idée que, tout comme l’histoire qui éclaire le passé, l’économie peut rarement jouer le rôle de sciences prédictive et que, surtout, l’usage immodéré de mathématiques présentées comme caution en matière d’impartialité ne peut faire oublier que cette science est directement influencée par des idéologies aussi différentes que contradictoires. C’est pourquoi, il existe aujourd’hui de nombreux économistes qui, en Europe comme aux Etats-Unis, réclament une remise en cause de l’enseignement de cette discipline avec une réduction de l’usage des mathématiques et, in fine, une acceptation de son statut de science humaine.
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jeudi 18 octobre 2012

Entretien accordé à l'Express.fr : 17 octobre 1961: "un geste vis à vis des Français d'origine algérienne" + Un article publié il y a un an sur SlateAfrique : 11 octobre 1961, un massacre d'Etat

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Propos recueillis par , publié le 
En reconnaissant mercredi le massacre d'Algériens lors de la manifestation pacifiste du 17 octobre 1961, François Hollande a d'abord voulu s'adresser aux enfants des manifestants, estime Akram Belkaïd. Mais son geste est aussi un message politique à l'Algérie. 
17 octobre 1961: "un geste vis à vis des Français d'origine algérienne"
GUERRE D'ALGERIE - 1500 Algériens arrêtés lors de la manifestation pacifique organisée à Paris le 17 octobre 1961 furent expulsés dans les 48 heures depuis l'aéroport d'Orly vers l'Algérie. Les quelques 20 000 manifestants furent victimes d'une répression violente qui fit de nombreux morts.
AFP

Journaliste, écrivain, auteur de plusieurs ouvrages sur l'Algérie (1), Akram Belkaïd réagit à l'hommage rendu par François Hollandeaux victimes de la répression de la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris au cours de laquelle des indépendantistes algériens avaient été tués par la police, dirigée à l'époque par le préfetMaurice Papon. 
Cette reconnaissance du massacre du 17 octobre 1961 était-elle une revendication des Algériens?
Certainement chez les Algériens de France. Le souvenir du 17 octobre reste profondément ancré dans l'imaginaire collectif de cette communauté, les enfants en ont entendu parler par leurs parents. C'est un peu plus compliqué du l'autre côté de la Méditerranée. Cela sera bien sûr considéré comme un geste positif mais en réalité on ne peut pas parler d'une revendication récurrente. L'événement a d'ailleurs longtemps été passé sous silence par l'historiographie officielle algérienne. La manifestation était organisée par la fédération du France du FLN. Considérée à l'époque comme la 7ème willaya (préfecture ndlr) de l'Algérie combattante, elle a ensuite été tenue à distance par les autorités qui ne tenaient pas vraiment à rappeler le rôle qui avait été le sien pendant la guerre. 
Que sait-on de ce qui s'est réellement passé?
Longtemps, la tragédie a été occultée en France. En réalité ce n'est qu'après la publication des travaux de Jean-Luc Einaudi (2), qui font état de près de 400 morts, que le 17 octobre 1961 a ressurgi, y compris dans l'imaginaire français. Ce n'est qu'à ce moment que l'on a appris, ou réappris, ce qui s'était passé, et que beaucoup de Français ont cessé de confondre ce massacre avec celui du métro Charonne au début de 1962. 
François Hollande a opté pour une reconnaissance sans repentance. Aurait-il dû aller plus loin ?
Certains s'en contenteront, d'autres pas. Je me méfie un peu pour ma part du discours sur la repentance. On en parle beaucoup plus en France qu'en Algérie. Et elle n'est pas à mon sens une revendication réelle des Algériens. Tout est parti de cette loi française de 2005 (abrogée depuis ndlr) qui reconnaissait le "rôle positif " de la colonisation. C'est ce texte qui a déclenché la polémique, alors que personne ne demandait rien. Ensuite, certains groupes algériens, notamment l'aile la plus conservatrice du FLN, s'en sont saisis. 
Quant à l'acte de reconnaissance de François Hollande, il s'inscrit d'abord à mon sens dans un contexte franco-français. Il s'agit un geste de réconciliation qui s'adresse aux Français d'origine algérienne. Car les enfants des manifestants de 1961 sont des citoyens français. Le président a voulu apaiser les choses. D'autant que depuis plusieurs années il y avait autour du massacre du 17 octobre et de sa non-reconnaissance une certaine crispation en France chez les jeunes gens issus de l'immigration. 
N'est-ce pas aussi un geste politique vis à vis de l'Algérie officielle et du président Abdelaziz Bouteflika auquel François Hollande a prévu de rendre visiste prochainement ?
Si bien sûr, c'est aussi cela. Hollande veut indiquer à travers ce message à l'Algérie officielle qu'il est moins crispé que Nicolas Sarkozy sur ces questionslà. 
Est-ce qu'il faut aller plus loin? Ouvrir, par exemple, les archives du ministère de l'intérieur?
Ouvrir les archives, certainement. C'est indispensable. Il faut que les historiens puissent travailler sur cette période. Qui a donné l'ordre de tirer? Quel a été le rôle réel de Maurice Papon? Celui deMichel Debré, Premier ministre? Et celui de De Gaulle? Il y a beaucoup de zones d'ombres qui méritent d'être éclaircies. 
(1) Dernier ouvrage publié : La France vue par un blédard, janvier 2012, aux Editions du Cygne 
(2) La bataille de Paris-17 octobre 1961, publié en 1991 aux éditions du Seuil.

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17 octobre 1961: un massacre d'Etat

Un triste anniversaire pour la république française. Le 17 octobre 1961, la France a laissé ses valeurs au placard. Cinquante ans et un an plus tard, elle refuse toujours de faire son travail de mémoire.

Des manifestants algériens sont arrêtés à Puteaux le 17 octobre 1961. AFP/Fernand Parizot
L'AUTEUR
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C’est l’histoire d’un massacre colonial dont la France officielle continue de refuser d’admettre l’existence et d’en assumer donc la responsabilité.
Ce massacre ne s’est pas déroulé en Algérie, au Cameroun ou à Madagascar mais à Paris, ville-lumière, ville des Lumières...
Le 17 octobre 1961, des dizaines d’Algériens et d’Algériennes ont été tués, certains en étant jetés à la Seine, alors qu’ils ne savaient pas nager, pour avoir osé braver le couvre-feu qui leur était imposé par les autorités.
D’autres ont été battus à mort dans la cour de la Préfecture de police ou dans ses annexes, cette même préfecture où, aujourd’hui les uns vont retirer leurs permis de conduire, d’autres leurs cartes de séjours sans oublier celles et ceux qui y célèbrent leur naturalisation.
C’est l’histoire d’un massacre que les mémoires algériennes et françaises ont longtemps occulté. Aujourd’hui encore, nombreux sont ceux qui confondent ces ratonnades, car comment les désigner autrement, avec ce qui s’est passé quelques mois plus tard au métro Charonne, quand des militants communistes sont morts piétinés ou écrasés par la foule affolée par la violence policière.
Le 17 octobre 1961, «paroxysme de la violence et de l’arbitraire», selon l’historien Gilles Manceron, ce fut des êtres humains bastonnés, frappés jusqu’à l’explosion de leur os, de leurs boîtes crâniennes, puis jetés dans les eaux noires du fleuve.
Ce furent des blessés privés de soins. Ce furent des arrestations en masse et d’horribles sévices. Ce furent des rafles, là-aussi c’est le mot qu’il convient d’employer, et des détentions arbitraires dans des stades ou des salles de sport.
Le 17 octobre 1961, n’est rien d’autre qu’une date d’infamie pour la République française, pour le Général De Gaulle, pour son Premier ministre Michel Debré, pour le ministre de l’intérieur Roger Frey et, surtout, pour Maurice Papon, alors préfet de police de la Seine, après avoir joué le rôle que l’on sait durant l’occupation nazie.
Il n’y a eu aucune enquête officielle, aucune inculpation ou mise en cause. A la différence de ce qui s’est passé pour Charonne, la gauche elle-même n’a jamais cherché à connaître la vérité ou à demander des comptes aux autorités.
Quant à la presse de l’époque, elle a certes rendu compte des violences mais est très vite passée à autre chose exception faite de quelques titres courageux dont Témoignage Chrétien.

Le réveil tardif de la gauche française

Le 17 octobre 1961 nous apprend beaucoup de choses. Il nous rappelle par exemple le rôle ambigu de la gauche française pendant la guerre d’Algérie. Cette gauche symbolisée par la SFIO(Section française de l'internationale ouvrière) qui a voté les pouvoirs spéciaux au gouvernement de Guy Mollet en 1956 et qui a attendu janvier 1962, c'est-à-dire six mois avant l’indépendance, pour organiser la première grande manifestation pour la paix en Algérie.
Une manière habile de ne pas se prononcer pour l’indépendance, et pour dénoncer les attentats de l’OAS (Organisation armée secrète).
C’était cela la gauche française, elle dont l’un des futurs grands leaders, en l’occurrence François Mitterrand n’a guère cillé quand il s’agissait d’envoyer des militants nationalistes à la guillotine.
Alors, il faut rendre hommage au PSU qui a clairement défendu la cause algérienne. Hommage aussi à l’Unef pour son engagement pour les Algériens, hommage au romancier Didier Daeninckx,auteur du roman Meurtres pour mémoire qui a abordé cette question et, hommage et mention spéciale, à l’historien Jean-Luc Einaudi dont l’ouvrage La Bataille de Paris, en 1990 a réveillé les mémoires.
Le 17 octobre 1961 nous apprend aussi que la France officielle a toujours aussi mal à sa mémoire coloniale.
Cette France qui s’en va donner des leçons mémorielles à la planète entière, qui entend dire le bien et s’attaquer au mal au nom des principes de sa Révolution, elle ne veut pas, cette France officielle, admettre qu’elle a gravement fauté.
Quand on évoque devant elle Octobre 1961, elle s’impatiente, s’irrite et explique qu’il faut tourner la page et regarder vers le futur. Topons-là et oublions, semble-t-elle dire à celles et ceux qui refusent une telle légèreté.
En cela, elle ressemble à un prêcheur en probité qui serait rattrapé par son passé et qui refuserait de l’assumer. Est-ce que cela affaiblirait la France que de reconnaître que son Etat a commis des crimes pendant la période coloniale, notamment en ce 17 octobre 1961?
Ce serait plutôt le contraire. Cela apaiserait les consciences, cela redonnerait confiance en ce pays à nombre de ses enfants qui sentent bien que les cadavres flottant de la Seine hantent la mémoire hexagonale.

«L'idéologie raciale et coloniale perdure»

Le problème, le vrai, celui qui n’est jamais abordé de manière frontale, c’est qu’il demeure des gens, parfois haut-placés, à droite comme à gauche mais surtout à droite, qui estiment que les manifestants algériens n’ont eu ce jour-là que ce qu’ils méritaient.
Ainsi, ce refus de voir le passé colonial apparaît sous un autre jour. Il n’y a pas simplement la volonté de cacher un acte dont on a honte et que l’on veut très vite oublier. Il y a aussi le fait que, finalement, l’idéologie raciste et coloniale perdure à ce jour.
C’est cela qu’ont compris nombre d’organisations qui ont manifesté le 17 octobre 2011 pour réclamer une reconnaissance officielle de ce massacre, rejoignant en cela l’appel du site Mediapart.
Tant que l’Etat français se taira sur ce sujet, il restera complice de ceux qui ont «cassé du bougnoule» pour le plaisir de le faire, pour dire qu’ils refusaient l’Algérie indépendante et que, pour eux, ceux que l’on appelait alors «les indigènes» resteraient à jamais des sous-hommes.

Une question mémorielle

Enfin, le 17 octobre 1961 nous dit beaucoup de choses sur les dirigeants d’Algériens d’hier et d’aujourd’hui. A l’indépendance, il n’était pas question de glorifier ces manifestants anonymes qui ont montré leur attachement à la cause de l’indépendance.
«Un seul héros le peuple», à condition qu’aucune tête ne dépasse. Et puis, pour le pouvoir installé à Alger dès 1962, il ne fallait pas accorder la moindre parcelle de gloire à la Fédération de France du FLN (Front de libération nationale). Alors l’oubli a fait le reste. D’autres événements sanglants ont recouvert les souvenirs du 17 octobre 1961.
Aujourd’hui, dans un pays où les trois-quarts de la population sont nés après l’indépendance, cette histoire ne veut pas dire grand-chose. Le pouvoir en place va bien essayer d’exploiter cette date pour remobiliser les foules grâce à l’habituel levier anti-français. Mais cela ne fonctionnera guère.
En revanche, il y a bien une question mémorielle que ce pouvoir préférera éviter. Lui qui n’a que faire de la vie des Algériennes et des Algériens, verrait d’un mauvais œil que la question de la responsabilité du FLN dans ces massacres du 17 octobre 1961 soit posée.
Il faudrait peut-être que les dirigeants de l’époque, du moins ceux qui sont encore en vie, s’expliquent. Pourquoi une telle prise de risque sachant que la police française était remontée et prête à tous les excès contre ceux que l’on n’appelait pas encore les Algériens?
Pourquoi une telle manifestation qui ne pouvait que déboucher dans le sang? En un mot, est-ce que cela en valait la peine à l’heure où les négociations entre De Gaulle et le FLN se poursuivaient en Suisse? Débat d’historiens, diront certains. Pas si sûr, car là aussi, il est question du prix que l’on accorde, ou pas, à une vie humaine.

Akram Belkaïd
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mercredi 17 octobre 2012

Espagne 1 France 1

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    Ce matin, la France est persuadée qu'elle va gagner la Coupe du monde de foot... Faire nul avec l'Espagne est certes un exploit mais quelques remarques s'imposent :
    - Oui, le but de Menez était valable
    - Mais le but de Giroud était hors jeu au départ (hors-jeu de Ribery)
    - Manquaient à l'appel chez les Espagnols : Puyol, Piqué, Villa, sans compter la blessure de Silva.
    Donc, on se calme un peu et on attend mars prochain pour le retour..
    Cela étant dit, une bonne nouvelle fait du bien dans un contexte hexagonal bien déprimant...
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lundi 15 octobre 2012

5$ pour Barack

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Akram, this race is tied.

What we do over the next 22 days will determine not just the next four years, but what this country looks like for decades to come.

That's what I'll be fighting for up on that stage tomorrow night -- but I can't do it alone.

This campaign's final and most critical FEC deadline is coming up on Wednesday. It's an important test of our strength at a time when the other side is plotting a big surge in negative ads.

This grassroots organization has never been beat -- but we're at the stage of an election where everyone needs to step up and chip in. So please, don't wait any longer. Donate $5 or more right now:

https://donate.barackobama.com/Last-FEC-Deadline

Thanks for standing with me.

Barack
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La chronique du blédard : Des élections, de la démocratie représentative et du tirage au sort

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 11 octobre 2012
Akram Belkaïd, Paris

Le 6 novembre prochain, les citoyens étasuniens vont se rendre aux urnes pour reconduire ou signifier son congé à Barack Obama (certains électeurs ont commencé à voter depuis déjà plusieurs semaines). Ce scrutin qui s’annonce serré, du moins selon les sondages, est l’occasion de se pencher sur l’état de la démocratie américaine. Et il ne fait nul doute que le constat est des plus mitigés car jamais l’argent n’aura autant compté que durant cette bataille électorale. Au final, la compétition entre le président sortant et Mitt Romney, son challenger républicain, cela sans oublier les autres candidats (toujours en course ou ayant jeté l’éponge), devrait coûter au moins six milliards de dollars. Un record ! Depuis plus d’un an, les deux rivaux ne cessent de lever des fonds directement ou indirectement via notamment les « Super Political Action Committees » (Super PAC). Il s’agit d’instances partisanes, soit disant indépendantes des candidats, mais qui, dans la réalité, permettent à de gros contributeurs de déverser des millions de dollars dans la campagne. En toute légalité et en contournant la loi qui fixe les dons directs à 2.500 dollars.
 
Peut-on encore parler de démocratie quand l’argent est aussi prépondérant ? Où est le choix du peuple quand ce dernier est influencé par des milliers de spots publicitaires payés par des groupes de pression, souvent au service de multinationales ou de milliardaires en mal d’audience politique ? Et que dire de ces messages en rafale, à la radio ou à la télévision, qui ne s’embarrassent guère de respecter la vérité… C’est-là l’un des paradoxes des Etats-Unis puisque tout ce qui a trait aux campagnes électorales y est considéré comme relevant de la sacro-sainte liberté d’expression.

Ce n’est pas verser dans l’antiaméricanisme primaire que de dire que la démocratie étasunienne est malade. Mais, elle n’est pas la seule. L’Europe nous montre elle aussi que la démocratie dite représentative a du plomb dans l’aile. Les exemples sont nombreux. Des « technocrates » placés à la tête de gouvernements pour faire plaisir aux marchés financiers, des Parlements nationaux qui se contentent de voter les lois, laissant à d’autres (gouvernements et « experts ») le soin de les rédiger dans des conditions peu transparentes, un Parlement européen qui ne contrôle pas grand-chose à commencer par une Banque centrale européenne (BCE) omnipuissante, et des députés qui, à peine élus, s’empressent d’oublier le choix populaire comme l’a montré l’inutilité du non français lors du référendum de 2005 pour l’approbation de la Constitution européenne.

En Europe, comme aux Etats-Unis, les réflexions critiques à l’encontre de la démocratie représentative se multiplient. Élire des représentants qui, par la suite, ne rendent aucun compte et déploient leurs talents pour se faire réélire, voire pour cumuler les mandats et se sentir intouchables, est devenu chose intolérable pour nombre de citoyens. Reste que l’alternative n’est pas évidente. On connaît d’ailleurs la formule : « la démocratie est la moins mauvaise des solutions… ». Mais, le fait est qu’elle n’est plus satisfaisante dans les pays où elle se pratique réellement ou, du moins, dans l’intention. Aujourd’hui, d’autres pistes se dessinent pour assurer aux peuples le respect de l’essentiel, c'est-à-dire la mise en place d’un système politique capable de leur garantir le droit aux droits fondamentaux.

Parmi ces pistes, figure le tirage au sort en lieu et place des élections. Non, ne riez pas ; ne balayez pas cette idée en haussant les épaules. Oubliez le conditionnement mental dans lequel nous baignons depuis plusieurs siècles et qui veut que démocratie signifie forcément élections. Lisons ce qu’écrit à ce sujet Etienne Chouard, enseignant et blogueur influent inspiré notamment par les idées du politologue Bernard Manin (*). « Les citoyens ont été réduits au rang d’électeurs, sans avoir été consultés, sans conserver aucun pouvoir entre deux scrutins », relève-t-il en estimant que le suffrage universel n’a pas tenu ses promesses puisque « le choix restreint à un petit cercle de candidats induit une aristocratie fermée, avec son cortège de malhonnêtetés et d’abus de pouvoir ».

Le tirage au sort, qui existait durant l’Antiquité et que certains ordres religieux ont utilisé au cours des siècles, permettrait d’éviter les dérives de la démocratie représentative grâce au respect de trois principes. Celui de « liberté individuelle » (chacun peut être tour à tour gouvernant et gouverné), celui de « rotation des charges » (éviter la formation de castes politiciennes) et le « principe protecteur majeur » (la perspective de redevenir un citoyen ordinaire oblige le gouvernant à plus de rigueur) cela sans oublier le fait que « le tirage au sort est la seule procédure qui permette une répartition des charges sans l’intervention d’aucune volonté particulière ».

Bien entendu, les préventions à l’égard d’un tel mode de désignation sont nombreuses. Comment être sûr de ne pas mettre au pouvoir un charlatan ? Comment accepter l’idée de s’en remettre au hasard ? Pour Etienne Chouard, le tirage au sort est pourtant « un arbitre idéal, impartial et incorruptible, qui protège la liberté de parole et d’action de chacun. » Pour lui, « l’impossibilité de tricher dissuade les parties d’être malhonnêtes au lieu de les pousser au mensonge comme le fait l’élection, qui bénéficie toujours au meilleur menteur (sic). » Et d’enfoncer le clou : « on reproche au tirage au sort de risquer de porter au pouvoir un incompétent ou un escroc, or il ne désigne pas un chef mais des porte-parole, ce qui est très différent ». Des porte-parole « tenus de traduire fidèlement ce que choisissent les citoyens », travaillant « sous leur contrôle constant » et, surtout, devant « rendre des comptes en fin de mandat ».

D’autres voies, souvent complémentaires avec le tirage au sort, existent. C’est le cas de l’élection sans candidats déclarés (les candidatures sont proposées par tous les électeurs). Là aussi, il s’agit de revisiter la démocratie représentative puisque les qualités nécessaires pour être élu ne sont pas forcément celles qui font le bon représentant du peuple. Tirage au sort, élection sans candidats, recours plus fréquent au référendum : dans une planète en crise profonde, y compris de gouvernance, ces idées émergentes peuvent être qualifiées d’utopiques. 

Mais il ne faut pas s’y tromper : c’est via ce type de réflexion novatrice que se dessine le monde de demain. Cela ne peut qu’interpeller les pays et les peuples qui sont encore loin d’être sorti de la dictature ou de l’autoritarisme. Le fait que la démocratie représentative soit désormais un horizon que l’on peut dépasser doit obliger ceux qui en rêvent à repenser, et à renouveler, leurs réflexions et stratégies politiques. Faute de quoi, ils risquent une nouvelle fois d’être en retard d’une bataille car c’est bien dans le développement de pensées alternatives que l’Occident est en train de reprendre de l’avance sur le reste du monde.

(*) Pile dans l’urne ou face au sort, revue Kaizen, numéro de septembre-octobre 2012. De Bernard Manin, on peut lire notamment  Principes du gouvernement représentatif, Flammarion, 1995.