Lignes quotidiennes

Lignes quotidiennes
Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

mardi 30 avril 2013

Immobilisme à l'algérienne

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De manière régulière, l'Algérie se retrouve au centre d'une agitation médiatique basée sur une règle de base : personne ne sait rien ou presque (lire ici l'éditorial du Quotidien d'Oran sur cette question de l'opacité).
 
On ne sait pas à quel point le président Bouteflika est malade et quel est son état réel. On ne sait pas non plus comment est gérée son absence et comment l'appareil d'Etat algérien supplée à cette vacance du pouvoir.
 
Du coup, il ne reste que les conjectures et les analyses. Cette hospitalisation en France, signifie-t-elle la fin de toute possibilité d'un quatrième mandat ? Faut-il d'ores et déjà considérer la piste d'un empêchement du président pour raisons médicales ? Il faut être honnête pour dire et répéter que, comme c'est souvent le cas en Algérie, ceux qui savent se taisent et ceux qui parlent et s'agitent sont ceux qui en savent le moins.
 
Mais une chose est certaine. L'Algérie, avec ou sans président aux manettes, continue de fonctionner cahin-caha. Dans un environnement marqué par une inertie à tous les niveaux (ghadoua, demain, étant le maître mot), la mise sur la touche du président ne semble guère avoir d'effets. Certes, on peut dire que c'est un signe positif qui prouve qu'il y a une continuité de l'Etat quelles que soient les conditions. Mais on peut dire aussi que c'est la preuve de l'existence d'un grand blocage et que l'absence de Bouteflika ne change rien à la situation...

Akram Belkaïd
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lundi 29 avril 2013

De la misère des hôpitaux algériens...

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Extrait de mon livre Un Regard Calme sur l'Algérie (Editions du Seuil, 2005). (lien pour cet ouvrage)
Pages 144 à 146

Ce livre a été publié en 2005. A l'époque, le pays ne connaissait pas la même aisance financière tandis qu'aujourd'hui ses réserves de change sont de 200 milliards de dollars. Pour autant, la situation dans les hôpitaux est toujours la même si ce n'est pire. Voilà pourquoi, nombre d'Algériens cherchent à se soigner à l'étranger y compris leurs dirigeants.

Misère des hôpitaux

Revenons à la presse algérienne et attardons-nous un peu sur les petites annonces, dont la lecture est riche d’enseignements. Les avis de décès montrent par exemple que le terrorisme est loin d'avoir disparu, et c'est un moyen comme un autre pour les rédactions de déjouer la mainmise du régime sur l'information dite «sécuritaire », c'est à dire tout ce qui touche de près ou de loin aux violences commises par les groupes armés. Régulièrement, aussi, les quotidiens publient, à côté de l'amoncellement de condoléances et d'hommages à des inconnus balayés par la violence, des appels à la générosité nationale : ici, à El-Eulma, c'est un père qui attend un rein pour son fils ; là, à Relizane, monsieur K.E. fait appel à la solidarité des ses « frères concitoyens » pour un traitement contre le diabète.

Depuis le début des années 1990, le discours officiel ne cesse de rebattre les oreilles des Algériens des milliards de dollars que des entreprises occidentales veulent à tout prix investir dans le secteur local du médicament. Tous les grands noms de cette industrie scélérate, qui laisse froidement l'Afrique mourir du Sida, mais qui jappe la tête basse et la queue entre les jambes lorsque l'Amérique lui ordonne de baisser les prix des antibiotiques pour faire face à la menace de l'anthrax, sont régulièrement évoqués par les communiqués triomphateurs du pouvoir.
 
Oui mais voilà, dans l'Algérie des torchères, Mr K.E., qui pourtant travaille, n'a pas les moyens de payer ses médicaments. Jusqu'à la fin des années 1980, il fallait se traîner dans toute la ville pour trouver l'ensemble des prescriptions portées sur une ordonnance. Une pharmacie, un médicament, et ainsi de suite à condition de disposer ici et là du bon piston. En dix ans, après la libéralisation du commerce extérieur et l'abandon des monopoles d'Etat, la plupart des médicaments sont certes disponible mais ils restent hors de la portée d’une bonne partie de la population qui, faute d’emploi déclaré, vit sans protection sociale.


Janvier 2002. Une jambe aux veines en feu, j’atterris de
nuit aux urgences de l'hôpital Saint Joseph à Paris.
Dans la chambre, s'affairent autour de moi deux aides-soignantes
tandis que le médecin de garde, un jeune rouquin,
m'interroge longuement. Lui aussi est Algérien comme me le
laissent deviner ses intonations et son nom inscrit sur un badge,
mais par un accord tacite, nous continuons à parler en français.
Le plus intéressant dans notre dialogue est le non-dit. Je le
ressens lorsqu'il commence à dicter la liste des examens
que les infirmières doivent réaliser.
 
Ses yeux complices me disent : « Oui, c'est aussi simple que
cela. Ici, c'est possible. On peut réaliser tout cela dans les minutes
qui viennent.» Pas d'attente, nul besoin de piston, nul besoin de
graisser la patte à quiconque...
 
Rien à voir avec ce que Hachemi T. a vécu quelques mois
auparavant. Âgé de 39 ans, marié, père de quatre enfants, il a
quitté l'armée algérienne en 1992 grâce à un bon piston mais aussi
un dossier médical qualifié de « sincère » par la hiérarchie militaire
qui a accepté sa radiation des effectifs. Grand sportif durant sa
première jeunesse, il s'est détruit les articulations à force de
soulever de la fonte dans les salles de musculation des
différentes casernes où il a été affecté. Lorsqu'il me téléphone à
la mi-septembre 2001, c'est pour me dire, après les salutations
d'usage, qu'il va encore se faire opérer.

«J'ai enfin trouvé le bon chirurgien, me dit-il. J'ai tous les produits
qu'il faut mais il me manque du fil. Est-ce que tu peux m'aider ?»

Les Algériens qui vivent à l'étranger, surtout en France, reçoivent
parfois des demandes loufoques de la part de leur familles ou amis
restés au pays. La chose reste compréhensible car la
société de consommation et ses appels permanents sont des aimants
dont la force d'attraction passe au-dessus des mers surtout lorsque
fleurissent les antennes paraboliques. Un pare-brise de véhicule,
une cocotte minute, un baromètre, passe encore, mais du fil
chirurgical ! Un pharmacien de la rue Montmartre, à Paris, me
regarde de travers, un brin suspicieux. Peut-être envisage-t-il même
de téléphoner - il l'a sûrement fait - à la police en ces temps
où les Arabes font la terrible actualité de New York à Kaboul.
Je pense un moment appeler des hôpitaux, chercher une société
de vente par correspondance, mais pour finir l'ami (algérien) de
l'ami (algérien) d'un chirurgien (algérien) vient à mon secours.

La difficulté de pouvoir s’acheter des médicaments n’est rien en comparaison des affres de celui qui doit passer sur le billard de l'un des hôpitaux de cette Algérie qui dans les années 1970 clamait au
monde entier sa fierté d’offrir une médecine gratuite à tous ses
enfants. Pas d'alcool, pas de compresses, un personnel paramédical démobilisé, souvent sale et méprisant à l'égard des malades, une
absence d'hygiène, des professeurs de médecine découragés, et c'est
ainsi que l'on entre au bloc pour un ongle incarné et que l'on ressort
de l'hôpital les pieds devant, emporté par une quelconque
septicémie.

L'Algérie membre de la puissante Organisation des pays producteurs de pétrole (Opep), qui exporte de 800.000 à 1,5 million de barils d'or noir par jour et près de 80 milliards de mètres cubes de gaz naturel, cette Algérie qui encaisse de 12 à 25 milliards de dollars de recettes par an, est incapable de soigner son peuple.

Dans un pays où l'on tue et où l'on égorge comme on éternue, dans
un pays où le frère, le cousin ou le voisin est peut-être un indicateur
des groupes armés ou de la sécurité militaire, dans ce pays qui a
formé des dizaines de milliers de médecins et dépensé des milliards
de dollars en dispensaires et centres de santé, les Algériens et les Algériens n'ont qu'une crainte majeure après Dieu : celle de tomber malade et de devoir affronter la misère noire des hôpitaux.
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samedi 27 avril 2013

La chronique du blédard : Après la défaite…

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 25 avril 2013
Akram Belkaïd, Paris
 
Mercredi matin. A sa mère qui l’interroge sur les raisons de sa mine rembrunie, un petit homme prononce les paroles suivantes. « Hier, c’était vraiment une journée de m…, de bout en bout ! ». Face à la surprise consternée de l’intéressée, le père se dépêche de fournir quelques explications. La faute au Barça, dit-il, qui a pris quatre buts à zéro dans la figure contre le Bayern de Munich. Une tréha dial el-klab, une raclée pour les chiens… Une déroute jamais vue depuis seize ans ! La fin d’un règne aussi, celui d’une équipe qui a presque tout gagné ces quatre dernières années. Du coup, le petit supporter, « culé » jusqu’au bout des ongles, n’a guère envie de prêter attention au printemps enfin de retour et aux vacances de pâques qui approchent à grande vitesse.
 
Mais, il n’y a pas que ça. La veille, c’était aussi la journée du championnat sportif des écoles avec deux épreuves au programme. Du rugby et de la thèque, version scolaire, et simplifiée, du base-ball. Là aussi, et malgré quelques victoires en poule, une belle chevauchée ponctuée par un splendide essai ainsi qu’un fulgurant « home-run », ce fut, au final, la défaite et l’élimination. Cela face à des équipes bien plus rouées car coachées par des parents pour qui la victoire était, apparemment, bien plus importante que la participation.
 
La défaite donc… Quand on évoque la hausse spectaculaire des marchés financiers, on dit souvent que les arbres ne montent pas au ciel. Cela vaut aussi pour des équipes qui, pendant des années, raflent tout sur leur passage. Quel que soit le palmarès, l’issue est connue d’avance. Tôt ou tard, le club qui a le vent en poupe mordra la poussière d’où l’importance pour lui de ne rien partager tant que la victoire lui ouvre ses bras. Voilà ce que fut le premier commentaire paternel après que les efforts maternels eurent échoué à dérider l’inconsolable. Oui, on le savait bien, que le Barça finirait tôt ou tard par perdre de manière humiliante (même s’il reste un match retour et que, tout de même, cette équipe est pratiquement assurée d’être champion d’Espagne pour cette saison - ce qui n’est pas rien !).
 
Il est pourtant une loi universelle qui veut que certaines défaites laissent toujours plus de trace que la plus belle des victoires. C’est pourquoi on s’en souvient des années plus tard, comme si elles nous avaient marqué au fer rouge. Ainsi, ce très lointain match de basket-ball auquel participa le présent chroniqueur. Un déplacement hors d’Alger, avec force rires et chansons dans le bus, ambiance de conquérants persuadés de ne faire qu’une bouchée du modeste adversaire. Puis, vint la rencontre et avec elle, la grosse déconvenue. Un score sans appel avec une trentaine de points d’écart et les railleries obscènes d’un public connaisseur. Le désarroi au coup de sifflet final parce que l’on ne s’y attendait pas à cette fessée. Parce que l’on croyait vraiment que l’on allait se qualifier les doigts dans le nez.
 
Ah, la terrible ambiance dans le vestiaire alors que parvenaient les cris de joie des vainqueurs... Ah, ces corps prostrés et ces têtes baissées, posées sur les rotules ou serrées entre deux mains. Il y avait ceux qui n’acceptaient pas la défaite, ceux qui insultaient les deux arbitres et la table de marquage, ceux qui ne réalisaient pas encore et ceux qui cherchaient noise aux coéquipiers les accusant d’avoir mal joué, pas assez passé, trop mal tiré. Il y avait ceux qui cachaient leurs larmes, ceux qui avaient mal et pas simplement parce qu’ils s’étaient blessés et ceux qui se sentaient coupables cela sans oublier ceux qui riaient sous cape parce qu’ils n’étaient pas entrés sur le terrain et à qui l’on avait fini par dire que la défaite aurait été bien plus sévère s’ils avaient joué… Moments électriques où l’entraîneur préférait se taire et où, parfois, éclatait une bagarre qui obligeait à séparer, à s’énerver et à dire des mots que l’on finissait toujours par regretter.
 
Et puis, venait ensuite le retour de nuit et ce silence saisissant dans le bus. Ni chants ni tambours. Des chuchotements et rien d’autre. Pas de partie de carte, pas d’histoires drôles à raconter et encore moins de plaisanteries. Impossible de dormir ou de récupérer. Alors, on collait son visage contre la vitre et on essayait de distinguer le décor à l’extérieur en se disant que la défaite avait ses raisons cachées. Qu’elle évitait peut-être d’autres déconvenues. On se promettait que l’année prochaine, les choses seraient différentes. Que la préparation serait meilleure. Qu’elle devrait être plus sérieuse. Au fil des kilomètres, on finissait par se sentir mieux. On se surprenait à rêver que le bus continue de rouler, encore et encore, le temps d’apaiser la brûlure ressentie. Ah, quelle défaite, se disait-on tout de même. Mais quelle défaite…
 
Nécessaire est la défaite. Sans elle, il n’y a aucune envie de revanche, aucune volonté de mieux faire la prochaine fois. Sans elle, s’installent la facilité et l’habitude de la victoire et des trophées. Sans elle, les joueurs font la loi, n’écoutent plus leur entraîneur et finissent par se croire invincibles comme certains joueurs du Barça dont Guardiola voulait la tête l’année dernière (ce qui explique, entre autre, son départ…). Mais, ce qui est le plus étrange, c’est que la défaite, bien plus que la victoire, peut être fondatrice d’une histoire, grande ou petite. Bien des années après, on y songe presque avec nostalgie, reconnaissant qu’elle fut bénéfique. Mais il n’empêche. Vingt-quatre heures plus tard on ne peut s’empêcher de penser à elle en se disant que ce fut effectivement une vraie journée de m…
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jeudi 25 avril 2013

La chronique économique : De la fragmentation de l'économie mondiale

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Le Quotidien d'Oran, mercredi 24 avril 2013
Akram Belkaïd, Paris
 
A la fin des années 2000 et, par la faute de la crise financière de 2008, un nouveau mot avait fait son apparition dans le vocabulaire économique. Il s’agissait de « découplage », terme par lequel on entendait mettre en exergue le fait que la (forte) croissance des pays émergents, notamment celle de la Chine, était de plus en plus indépendante des (mauvaises) performances des pays développés. La notion de découplage reste encore en vigueur mais celle de fragmentation est en train de prendre l’ascendant sur elle.

L’EUROPE, MAUVAIS ELEVE PLANETAIRE

Pour le Fonds monétaire international (FMI), l’économie mondiale est, en effet, entrée, dans une phase de fragmentation puisque le dynamisme des pays émergents ne se dément pas tandis que l’Europe n’en finit pas de sombrer dans la récession et que les Etats-Unis s’en tirent mieux même s’ils ont du mal à renouer avec une croissance créatrice d’emplois. Le moteur mondial tournerait ainsi sur trois vitesses différentes, celle des pays émergents, celle des Etats-Unis et celle, la plus lente, de l’Europe. Pour le FMI, cette fragmentation explique pourquoi la croissance du PIB mondial devrait atteindre 3,3% en 2013, une prévision que nombre d’économistes trouvent d’ailleurs optimiste et ne tenant pas suffisamment compte de l’atonie européenne.

Le Fonds a pourtant reconnu la semaine dernière lors de son Assemblée générale que des pays comme Chypre et l’Italie constituent de sérieux motifs d’inquiétude , cela sans compter la situation globale des banques européennes qui ont encore du mal à assainir leurs comptes et à financer l’économie. Plus important encore pour le banquier mondial, les plans d’austérité concoctés par les gouvernements européens pour diminuer les déficits budgétaires semblent n’avoir rien résolu, ayant durement affecté la demande. C’en est même au point où le FMI demande lui-même, de façon plus ou moins assumée, une pause dans les plans d’austérité appliqués en Europe. « Si un pays en a la possibilité, il faut penser à ce qui peut être fait pour réduire le rythme de l’assainissement budgétaire afin qu’il reste crédible mais qu’il n’ait pas trop d’impact négatif sur la demande », a ainsi écrit Olivier Blanchard, le chef économiste du Fonds, évoquant spécifiquement la nécessité pour le Royaume-uni de revoir sa politique de rigueur.

UNE MISE A L’ECART DE L’EUROPE ?

La question de la fragmentation de l’économie mondiale est une menace directe pour l’Europe car elle peut encourager les pays émergents à se détourner peu à peu de cette région et à privilégier les échanges entre eux. D’ailleurs, des pays comme la Chine ou le Brésil ne disent pas autre chose en reprochant à l’Europe de ne pas prendre les mesures nécessaires pour son redémarrage économique et en menaçant d’exclure cette région de leurs projets d’investissement. Autre inconvénient de cette fragmentation, la difficulté à trouver des solutions globales pour résoudre les problèmes économiques globaux. Du coup, une idée reçue de la mondialisation est en train de voler en éclat : non, la globalisation ne signifie pas obligatoirement une synchronisation des cycles économiques entre différentes régions du monde. En clair, il y aura toujours des gagnants et des perdants, n’en déplaise à celles et ceux qui affirment que la mondialisation, c’est la généralisation du modèle « win-win » (gagnant-gagnant).
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lundi 22 avril 2013

G & G

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Green and Grey...
Still waiting
for the
B & G...
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Conférence vidéo : L'Algérie, le Sahara et la géopolitique du Maghreb

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Université Populaire de l'iReMMO

Samedi 02 mars 2013 : L'Algérie, le Sahara et la géopolitique du Maghreb

Séance 3 : Les relations de l'Algérie avec ses voisins : Maroc, Mali, Tunisie, Libye...

avec :

Akram Belkaid, journaliste indépendant et essayiste spécialiste du monde arabe, des questions énergétiques et d'économie internationale. Il est l'auteur entre autre de Etre Arabe Aujourd'hui (carnetsnord), À la rencontre du Maghreb (Éditions La Découverte-IMA) et de Un regard calme sur l'Algérie (Éditions du Seuil).

Cliquez ici : http://www.youtube.com/watch?v=jtaXqa58LZc
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dimanche 21 avril 2013

Un livre dédicacé

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Traîné au marché du livre ancien ce matin. L'embarras du choix. Mon Dieu... Toute cette création. Tous ces efforts, ces écrits, ces espoirs de célébrité, de reconnaissance. Vanitas vanitatum omnia vanitas... Il y a les pièces rares, valant quelques centaines d'euros, voire plus. Et, il y a les livres vendus au kilogramme. Terrible fin. Qu'en penseraient leurs auteurs ? Ce genre de marché est certainement interdit à celui qui écrit. Ou peut-être nécessaire puisque déambuler dans les allées encombrées par des dizaines d'étals, c'est aussi recevoir une leçon d'humilité. Cela étant, le livre n'est pas sacré mais il peut aussi avoir plusieurs vies.
 
Je tombe sur un essai à propos de la torture pendant la guerre d'Algérie. 2 euros. 1 euro, si je tiens compte de la petite pancarte qui proclame -50% sur tous les prix affichés.
 
J'ai envie de le prendre. Je l'ouvre. Je tombe sur une dédicace de l'auteur à Antoine Sfeir, le très médiatique expert en affaires arabes et autres islamitudes. Gêne. L'auteur a pris soin d'écrire une longue dédicace, à la fois chaleureuse et érudite. A-t-elle au moins été lue ? Ainsi vont les services de presse. On écrit une dédicace, on s'applique, on se dit que cela pourra valoir un article, une mention dans une émission télévisée, une invitation à la radio. Et, souvent, rien ne vient. On se doute que le livre a été posé sur une pile, vite recouvert par d'autres envois avant d'être cédé au bouquiniste du coin...
 
Je n'ai pas pris le livre. J'aurais pu l'acheter et déchirer la page de dédicace. Mais, quelque chose m'a commandé de le reposer. Rentré chez moi, j'ai eu des remords. Une autre fois, peut-être.
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vendredi 19 avril 2013

La chronique du blédard : Evasion fiscale et sécurité nationale

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 18 avril 2013
Akram Belkaïd, Paris

« Les services secrets avaient autre chose à faire plutôt que d’enquêter sur l’existence d’un compte à l’étranger de monsieur Cahuzac. Nous avons laissé la justice faire la lumière sur ce dossier ». Ces propos, répétés à l’envi par Manuel Valls, le ministre de l’intérieur français méritent que l’on s’y attarde. On le sait, ce responsable a été interpellé à plusieurs reprises par la presse mais aussi par l’opposition à propos de ce qu’il savait ou pas concernant les agissements de l’ex-ministre du budget. Car, nombreux sont ceux qui se sont demandés si, dès l’annonce de l’existence du fameux compte par le site Mediapart, le gouvernement français n’avait pas diligenté une enquête parallèle à celle de la justice. Une enquête qui, efficacité supposée des « services », aurait pu livrer ses enseignements bien plus tôt que les investigations judiciaires. En clair, la question était de savoir si le ministre de l’intérieur mais aussi le président Hollande auraient pu être au courant de la culpabilité de Cahuzac avant qu’elle ne soit officiellement établie.
 
Mais, prenons les déclarations de Manuel Vals pour argent comptant et admettons qu’il n’y a pas eu d’enquête des services au nom du respect de l’indépendance et de la primauté de la justice. Nombre de journaux mais aussi de personnalités politiques ont trouvé l’argument recevable ce qui est pour le moins étonnant.
 
En effet, un ministre du budget qui possède un compte non déclaré à l’étranger ne représente rien de moins qu’un véritable problème de sécurité nationale pour son pays ce qui aurait donc justifié une enquête des services secrets. Comment, en effet, ne pas se demander si d’autres pays, y compris occidentaux, n’étaient pas au courant de l’existence de ce compte ce qui, par conséquent, leur aurait permis d’exercer des pressions sur ce ministre ? Théorie du complot, diront certains. Et, c’est là où l’on touche du doigt les dégâts occasionnés à la fois par une naïveté confondante quant à la réalité des relations internationales et par la généralisation d’un certain scepticisme qui réfute n’importe quelle analyse mettant en exergue l’existence de mécanismes peu orthodoxes et très éloignés de ce qui serait la marche normale, et morale, du monde.
 
C’est un fait, les grandes nations ne se font plus la guerre comme jadis. Mais, il est un autre conflit, violent et implacable, qui les oppose puisqu’il s’inscrit dans cette gigantesque bataille économique engendrée par plusieurs décennies de dérégulation et de mondialisation. Et, dans cette affaire, les victimes sont les emplois, les entreprises mais aussi les contribuables.

Résumons. Un ministre du budget qui cache un secret (des secrets ?) comme l’a fait Cahuzac est une victime potentielle de chantage de la part de n’importe quel service secret étranger mais aussi de n’importe laquelle de ces officines de renseignement économique qui travaillent pour de grandes multinationales, parfois bien plus puissantes et influentes que les Etats. Un chantage pour quoi faire ? Tout simplement, parce qu’un ministre du budget peut, d’une signature ou par un arbitrage, décider de la mort de telle ou telle activité économique. Il peut aussi protéger tel ou tel secteur des appétits fiscaux du gouvernement auquel il appartient. Il peut peser de son poids politique pour orienter des choix majeurs en termes de politique économique et même convaincre les autorités de fermer l’œil sur le comportement fiscal inconvenant de tel grand homme d’affaires ou de telle entreprise transnationale. L’intérêt de contrôler ou de manipuler un tel responsable paraît donc évident. Du coup, on est en droit de penser que ses décisions passées mériteraient d’être examinées à l’aune de cette problématique.

L’argument de Manuel Valls a été d’autant plus facile à faire accepter en France qu’il y est aujourd’hui ringard et suspect de parler de sécurité nationale ou d’intérêt de l’Etat. Cela contrairement aux Etats-Unis où cette thématique est abordée en permanence dans les séries télévisées ou le cinéma, sans oublier la littérature, et bien sûr le discours politique. La France, elle, préfère éviter d’aborder ce sujet qui peut, il est vrai, facilement dériver sur des considérations nationalistes et xénophobes. Pourtant, la mondialisation impose ce genre de questionnement. En faisant tomber les frontières, en permettant la circulation sans entrave ou presque des capitaux, elle fragilise les Etats et, par conséquent, ce que ces Etats sont censés protéger.


Cela vaut aussi pour les paradis fiscaux. En effet, il est étonnant que ces pays dont l’objectif est de voler, car c’est bien de cela qu’il s’agit, des recettes fiscales aux autres ou d’attirer de l’argent sale ne soient pas considérés comme des Etats voyous au même titre que n’importe quel pays accusé de soutenir le terrorisme. Simple question. Qui fait le plus de mal à la France ? L’Iran des mollahs ou les Iles Caïman ou encore, soyons encore plus directs, le Luxembourg et l’Autriche ? Un pays qui « pique » des ressources financières à l’autre, l’empêche de moderniser ses infrastructures, pénalise ses services publics et l’oblige à s’endetter pour compenser ses pertes fiscales, peut-il vraiment être considéré comme un allié ou un partenaire au sein de l’Union européenne ?
 
L’une des grandes réussites de la finance internationale et de l’industrie de l’évasion fiscale a été de faire oublier le caractère belliciste et antipatriotique de son activité. C’est ce que l’affaire Cahuzac devrait faire prendre conscience plutôt que d’engendrer ces clowneries pitoyables à propos du patrimoine de tel ou tel ministre ou élu de la République…
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jeudi 18 avril 2013

La chronique économique : Le FMI et les réserves de change chinoises

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Le Quotidien d'Oran, mercredi 17 avril 2013
Akram Belkaïd, Paris
 
Et un nouveau record, un ! Les réserves de change de la Chine, les plus importantes au monde, ont atteint à la fin du mois de mars le montant historique de 3.340 milliards de dollars. C’est près de 18 fois les réserves de change de l’Algérie ou 2,5 fois celles du Japon, lequel a longtemps caracolé en tête du classement des pays disposant des plus importantes réserves au monde avant d’être détrôné par son voisin chinois. On prend conscience de l’impressionnante évolution de la force de frappe financière de Pékin, en se souvenant que ses réserves de change atteignaient à peine 20 milliards de dollars en 2000 et qu’elles ont quadruplé depuis 2005.
 
Les critiques du FMI…
 
Pour bien comprendre comment sont gérées ces réserves, il faut savoir que les exportateurs chinois sont tenus de déposer leurs revenus en devises auprès de la Banque centrale chinoise. Cette dernière injecte alors des yuans dans l’économie locale et place une partie de ces devises déposées en bons du Trésor américain et en autres titres souverains notamment européens. De même, une partie de ces réserves de change est utilisée pour alimenter le fonds souverain CIC qui investit à l’étranger. On ne connaît pas la répartition de ces placements mais, selon une hypothèse communément admise, les bons du Trésor américains constitueraient plus de 60% des avoirs chinois contre 30% pour les avoirs libellés en euros et dans d’autres monnaies européennes comme la livre ou le franc suisse.
 
Au-delà de la répartition des réserves de change chinoises, c’est leur importance qui alimente depuis quelques années la controverse. En effet, le Fonds monétaire international (FMI) estime que ces réserves menacent à terme la stabilité du système financier mondial et que, par ailleurs, la Chine ferait mieux de consommer une partie de ses avoirs notamment via l’investissement dans des infrastructures. Mais, il y a peu, un audit interne au Fonds a remis en cause cette manière de voir. « Le FMI n'a pas fourni d'argument convaincant expliquant en quoi des réserves excessives constituaient un problème pour le système monétaire international », a ainsi écrit le Bureau d'évaluation indépendant (IEO) du Fonds. « La focalisation du FMI sur l'accumulation de réserves (...) n'a pas été utile en ce qu'elle a mis l'accent sur les symptômes plutôt que sur les causes profondes et elle a donc abouti à un manque de clarté sur les options en discussion pour réduire les risques »,a insisté l'IEO dans son audit qui couvre la période allant de 2000 à 2011. Et d’enfoncer le clou : « Le FMI n'a pas prêté suffisamment d'attention (...) au rôle protecteur des réserves dans plusieurs économies émergentes ».
 
… et ses objectifs réels
 
Bien entendu, le FMI n’a guère apprécié ce rapport interne puisque sa directrice générale Christine Lagarde, a estimé que les rédacteurs de l'audit s'étaient « trompés » dans leur analyse. Elle a aussi insisté sur le fait que ces réserves pouvaient s'avérer « coûteuses »tant pour les pays qui les accumulent que pour l'économie mondiale. Mais, on attend toujours les arguments concrets du FMI concernant le caractère dangereux des réserves de change… Et, en réalité, sa position n’a rien d’étonnant. En fait, le Fonds est d’abord une institution au service des pays occidentaux, dont les Etats-Unis, lesquels attendent de la Chine qu’elle dépense plus et qu’elle cesse d’affaiblir artificiellement sa monnaie pour doper ses exportations (en achetant du dollar et d’autres monnaies, la Banque centrale chinoise maintient le yuan à des niveaux compétitifs). De même, le FMI n’aime guère voir des pays émergents disposer d’un grand matelas de liquidités susceptibles d’être prêtées et donc, de remettre en cause son rôle de grand banquier international. Dès lors, on comprend l’agacement des pays émergents qui comptent bien utiliser une partie de leurs avoirs pour créer leur propre grande banque multilatéral. La lutte d’influence entre pays émergents et le FMI ne fait donc que commencer.
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mercredi 17 avril 2013

Mansourah, témoin d'un siège vain

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Ainsi dressé, je témoigne de ce que fut la vanité des hommes
siège de huit ans de l'antique Pomaria,
inutile et voué à l'échec
ville de Mansourah bâtie pour rien
réduite en ruines par le furie des assiégés enfin libérés
L'Histoire est aussi résistances et vengeances
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lundi 15 avril 2013

La chronique économique : Mondialisation et évasion fiscale

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Le Quotidien d'Oran, mercredi 10 avril 2013
Akram Belkaïd, Paris
 
Les récentes péripéties politico-judiciaires en France avec l’affaire Cahuzac ainsi que les révélations de plusieurs journaux à propos des comptes détenus dans des paradis fiscaux par plusieurs milliers de personnalités à travers le monde appellent plusieurs commentaires. On peut d’abord s’étonner de la faiblesse des Etats dans leur incapacité à lutter contre l’évasion fiscale. Tant d’argent « gris » qui échappe à la vigilance du fisc mais aussi à celle des services de renseignement et des chancelleries diplomatiques, cela ne peut pas relever d’un simple défaut de fonctionnement ou de quelques incompétences. Non, visiblement, il s’agit de systèmes organisés, bien pensés, avec l’aval des pouvoirs politiques.
 
Des politiques impliqués
 
En clair, on est en droit de se demander si ces pouvoirs n’ont pas été engagés jusque-là vers une certaine tolérance pour ne pas dire une indulgence coupable à l’égard des fraudeurs. Bien sûr, il est clair que certains de ces dirigeants sont directement concernés puisque, eux aussi, dupent l’Etat et le pays qu’ils sont censés servir. La non-application des lois, le manque de zèle dans la lutte contre la fuite de capitaux, tout cela aurait donc d’abord servi des élus et des responsables indignes de la confiance mise en eux. Mais, bien sûr, il n’y a pas que cela. Les politiques ont aussi regardé ailleurs parce que cela avait pour but de ne pas effaroucher de riches contribuables dont on a accepté qu’ils fassent fuir une partie de leur argent dû à l’Etat au titre qu’ils payaient tout de même des impôts. Quoi qu’il en soit, cette indulgence est d’autant plus condamnable qu’elle oblige à s’interroger sur la manière dont de nombreux partis politiques se financent. En effet, rien ne dit que l’affaire Cahuzac ne cache pas non plus un sombre dossier de financement politique. La justice française le dira bien assez tôt…
 
Par ailleurs, il est temps d’admettre que la mondialisation est aussi synonyme d’évasion fiscale. Tous les circuits mis en place pour faciliter la circulation des capitaux dans le monde servent aussi (et surtout ?) les fraudeurs en tous genres et il n’est pas interdit de se demander si, finalement, la globalisation n’est pas âprement défendue pour cette raison. Partout dans le monde, des élites politiques et économiques ont compris tout le parti qu’elles pouvaient tirer de l’existence de lois plutôt souples en matière de contrôle des flux financiers. C’est pourquoi ces élites ne font rien pour interdire les paradis fiscaux. Sans exagérer, on est aussi en droit de se demander quel est ce monde où l’on peut envahir un pays souverain sur la base de renseignements infondés et prétendre dans le même temps qu’il est difficile de mettre au pas des micro-Etats dont le seul but est d’attirer de l’argent qui échappe au fisc ou, plus grave encore, qui provient des activités criminelles de plus en plus rentables des mafias (drogue, armes ou trafics d’êtres humains).
 
Une affaire de démocratie
 
La mondialisation financière a affaibli les Etats. Elle a sapé leur capacité à prélever l’impôt de manière équitable puisqu’aujourd’hui, les classes moyennes sont celles qui sont le plus affectées, car incapables de se payer les services d’aigrefins spécialisés dans les montages financiers. On peut citer aussi les classes populaires, pour la plupart soumises à la TVA, cet impôt des plus injustes puisqu’il est le même pour tous, quel que soit le niveau de revenus. Dès lors, on peut se dire que les politiques devraient désormais être jugés sur leur capacité à stopper l’évasion fiscale. Il y va, ni plus ni moins, de l’avenir de la démocratie.
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dimanche 14 avril 2013

La chronique du blédard : Nicole Garcia, les mots et une chicane dans les airs

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 11 avril 2013
Akram Belkaïd, Paris

  

Vendredi 5 avril. L’affaire s’engage en salle d’embarquement. Mal. L’homme, la trentaine déjà très bedonnante, ne retrouve, scénario banal, ni passeport ni carte d’embarquement. La femme, même âge, même volume, s’impatiente car, pendant qu’il fouille, refouille et triple-fouille, elle doit soulever un gros sachet en plastique qu’elle ne veut visiblement pas poser au sol. Tu les as oubliés au café, j’en suis sûre, gronde-t-elle en arabe tunisien. Il ne se démonte pas et continue à chercher dans une sacoche en cuir noir dont il finit par verser le contenu à terre. Rien. Je suis certain que je les avais il y a dix minutes, murmure-t-il comme s’il se parlait à lui-même. Puis, vient l’éclair de lucidité, celui qui soulage avant même que l’on ne trouve enfin ce que l’on cherche. L’homme arrache le sachet des mains de la dame et en sort les précieux documents. On n’a pas idée de mettre ses papiers ici et puis, fais attention, il y a des choses fragiles dans ce sac, lui dit-elle, gâchant son triomphe pourtant modeste.

L’avion pour Tunis n’a pas encore décollé. Les passagers de classe économique, serrés comme des sardines, sont assis, attendant les éternels retardataires qui se sont oubliés dans les magasins hors-taxes et qui mériteraient quelques soufflets sur la nuque mais, ceci est une autre histoire. Le sachet au contenu fragile, des œufs en chocolat, est posé sur les cuisses de la femme. Elle n’a pas voulu le placer dans le casier au-dessus de sa tête comme le lui a conseillé une hôtesse au visage fatigué. Elle a essayé de le mettre sur le siège devant elle mais l’actrice Nicole Garcia – si, si, le présent chroniqueur jure et certifie que c’était bien elle – l’en a dissuadée. N’insiste pas, tu l’as pas reconnue ? C’est une actrice dit l’homme à la dame tout en pianotant sur son téléphone portable. Elle hausse les épaules et le foudroie du regard. Jamais vue à la télé, répond-elle.

L’A320 est dans les airs depuis un moment. C’est l’heure des plateaux-repas et des odeurs de graillon. Nicole Garcia lit et relit le texte qu’elle va présenter dans quelques heures au théâtre municipal de Tunis. C’est un passage de Le premier homme, d’Albert Camus (oui, je sais, encore lui, mais, peut-on faire autrement ?). La répétition est silencieuse, rythmée par une main droite qui se soulève, se baisse, se suspend et se relâche, se confondant avec le souffle silencieux qui accompagne le défilement des mots. Les mots, c’est de cela dont il va s’agir dans la capitale tunisienne ou se tiendra Al Kalimat, version locale du marathon des mots cher à la ville de Toulouse.

Dans la rangée de derrière, la dame et son compagnon de voyage se font la mine depuis le décollage. La faute à une conversation téléphonique où le monsieur a appris que son frère ne viendrait pas les attendre à leur arrivée. Madame l’a très mal pris. On l’a accueilli pendant trois semaines. Je lui ai cuisiné tous les soirs et il ne peut pas faire un effort ? n’a-t-elle cessé de répéter. Je te préviens, j’en ai marre de ta famille. Je repars à Paris dès lundi. On ne me traitre pas comme ça ! Le Monsieur est resté calme, essayant de lire par-dessus l’épaule de l’actrice. Tu ne vas pas en faire toute une histoire, a-t-il lâché sans grande conviction. On paiera vingt dinars, et puis c’est tout. Ce n’est pas la fin du monde

La femme s’est alors mise en colère. Je vais t’écraser le sachet sur la tête si tu continues comme ça, a-t-elle presque crié. Si ! Je fais des histoires ! D’ailleurs, je veux descendre. Je ne pars plus. Ils ne me verront pas. Tu diras à ta famille que je ne veux plus qu’ils mettent les pieds chez moi. Le visage de l’homme s’est fermé. Terminées la bonhomie et l’humeur égale. Vas-y ! Allez ! Dégage !, lui a-t-il ordonné. Je pourrai voyager tranquille. Descend ou ferme-la. Tu nous fais honte devant l’actrice. Regarde, elle s’est encore retournée à cause de toi. La dame s’est calmée, un peu décontenancée, disant tout de même que l’histoire n’était pas réglée. Si je ne descends pas, c’est pour ne pas retarder l’avion, a-t-elle lancé avant de bouder.

L’appareil approche de Tunis-Carthage. Nicole Garcia a rangé son livre. Tout à l’heure, en Oranaise qui a pardonné à Camus ses lignes sur la ville laide qui tourne le dos à la mer, elle lira à voix haute la lettre de l’écrivain à son instituteur après l’annonce de son Prix Nobel, la réponse de monsieur Germain et ce passage où, moment décisif dans la (courte) vie de l’enfant de Belcourt, ce même monsieur Germain convaincra ses mère et grand-mère de le laisser poursuivre ses études. Dans quelques heures, le public tunisois, femmes, hommes, jeunes et ados, voilées et non voilées, écoutera dans un silence religieux ces mots. Tout comme ils auront écouté avant la lecture puissante du comédien Jacques Martial, récitant, interprétation puissante, magnétique même, un long passage de Cahier d’un retour au pays natal. Tout comme ils auront vibré aux vers engagés et lumineux de Nizar Qabbani lus par la journaliste Mariem Ben Hassine. Des mots pour transporter. Des mots pour adoucir, un peu, les maux qui assaillent la Tunisie. Pour l’aider à se prémunir de ceux qui menacent au loin, tels ces nuages noirs qui s’accumulent sur la baie de Tunis…

L’avion a atterri. Vingt-trois degrés à l’extérieur annonce l’hôtesse. Mais, avertit-elle. La pluie est annoncée pour demain. Madame et monsieur ne se font plus la tête. La réconciliation est totale. Ce soir, lui a-t-il promis, ils iront au restaurant. Seuls, sans personne, sans les frères, sœurs et cousins.
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lundi 8 avril 2013

Algiers et الجيرس

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On lit parfois des choses étonnantes dans certains avions .
Désormais, ces écrans où apparaissent la carte du trajet et quelques indications de vitesse, d'altitude et de température, sont de plus en plus répandus.
L'affichage y est en langue anglaise puis arabe ce qui laisse à supposer que ses concepteurs ont oublié que la seconde langue dans le Maghreb est le français (la troisième, si l'on prend en compte l'amazigh).
Sur les cartes, le point correspondant à Alger est donc mentionné en anglais soit : Algiers . Et en arabe ? On pourrait penser que c'est le terme normal qui devrait apparaître soit :  الجزائر
Sauf que non puisqu'en arabe on a droit à un étrange : الجيرس ce qui est, je le précise pour les non-arabophone, la transcription phonétique d'Algiers en arabe.
Problème, l'avion en question appartient à Air Algérie...
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dimanche 7 avril 2013

Clicktivisme

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Spark ! Djamr !
Le monde brûle
Et toi, oui toi !
Tu cliques, click...
Tu shares, repiques, loles et scrolles
Suffit ! Debout !
Foin, de clavier et d'écran
La rue t'attend :
Des poings brandis, vient le temps
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jeudi 4 avril 2013

La chronique du blédard : Le foot, le Qatar, son image et le poète embastillé

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 4 avril 2013 
Akram Belkaïd, Paris

Mardi soir, au stade du Parc des Princes à Paris, a eu lieu le quart de finale de la Ligue européenne des Champions entre le PSG et le FC Barcelone, c’est-à-dire, si l’on veut présenter les choses autrement, la finale-aller du championnat du Qatar (cette expression lapidaire est de mon confrère Malik Aït-Aoudia). Situation étonnante, n’est-ce pas ? Voilà un grand choc du football européen voire mondial, qui s’est tenu, grâce, du moins en grande partie, à l’argent de cet émirat, minuscule confetti pas plus grand que la Corse mais dont l’audience internationale ne cesse de croître. Une émergence tellement spectaculaire qu’on ne cesse de lui consacrer force articles, livres et colloques.

A ce jour, le Qatar a consacré au moins 300 millions d’euros en budget annuel alloués au club parisien qu’il a acheté 50 millions d’euros à l’été 2011 (le sponsoring du Barça, une première pour un club qui n’a jamais accepté de publicité sur son maillot, ne lui coûte « que »30 millions d’euros par an…). Tôt ou tard, le PSG va remporter des titres. Celui de champion de France, dans un mois (sauf grande surprise), mais aussi, à court terme, celui d’Europe car, les fonds injectés par Qatar Sport Investment (QSI) contribuent à former une équipe parisienne des plus solides et talentueuses.

 La question qu’il faut se poser est de savoir si tout cela est bien sérieux. Ne parlons pas de morale, le football professionnel, comme nombre de sports de haut niveau, en est totalement dépourvu. A quoi peut bien servir ce sponsoring si coûteux qui pourrait servir à la construction de milliers d’infrastructures dans le quart-monde, de Gaza à l’Afrique australe sans oublier les pays d’Asie du Sud-Est ? Pour être bien vu des chouyoukhs de l’émirat, des experts français nous expliquent d’un ton docte que c’est un investissement rentable et que le merchandising des produits dérivés du PSG (maillots, écharpes, etc…) rapportera beaucoup d’argent aux qataris ce qui prouvera à leurs détracteurs que ce sont d’avisés hommes d’affaires. A voir…

En arriver à dépenser un jour un milliard d’euros, voire plus, pour décrocher une Ligue des Champions et quelques glorioles françaises, ne sera jamais compensé par les droits de télévision et les ventes de caleçons à l’effigie de Beckham. Le football est un puits sans fonds, une danseuse qui coûte très cher et c’est d’ailleurs pourquoi rares sont les grands clubs qui gagnent de l’argent et dont les structures financières sont saines (le Bayern de Munich et Arsenal en font partie). En clair, le foot, c’est du très mauvais business. C’est d’ailleurs ce qu’explique Maurizio Zamparini, le truculent et très controversé président du club de Palerme dans un entretien accordé au mensuel So Foot.

« En aucune manière (le football est un business), dit-il. Le football est basé sur l’orgueil. Si Abramovitch (le riche patron de Chelsea, ndc) a mis tellement d’argent dans le football, et si les Arabes sont en train de faire la même chose, c’est parce qu’ils se payent une image ». Et d’ajouter un peu plus loin que, lui aussi aimerait « trouver, comme l’a fait le PSG, une famille de cheikhs »(sic), la Sicile ayant « longtemps été sous domination arabe » et qu’il existe « encore chez certains Siciliens, les caractéristiques des Arabes »(*).

Se payer une image, donc. C’est ce que cherche le Qatar sur le plan international et le football en est la meilleure illustration. Reste à savoir si cela sera payant. Est-ce que le fait de financer à fonds perdu le club parisien va améliorer l’image globalement négative des Arabes du Golfe ? Ces Arabes qui, dans un imaginaire planétaire, et pas uniquement occidental, sont souvent décrits comme d’indécrottables ignares aux poches pleines et à peine remis de leur passage éclair de la tente crasseuse aux salles de bains avec robinetterie en or… A observer, d’assez loin, je le concède, le petit monde qui s’affaire autour des dirigeants du PSG (vous savez, le fameux « la prince » des Guignols de l’info de Canal Plus), je suis tenté de répondre par la négative.

On sent bien que nous assistons à un film qui pourrait s’intituler « on prend l’oseille et on se tirera le moment venu ». Les Qataris pensent, à tort, que l’argent qu’ils investissent dans l’image leur permet d’acquérir du « soft power » et que cela les rendra sympathiques aux yeux du monde. En réalité, ils oublient une chose fondamentale. On ne change dans la perception de l’autre, que si l’on se transforme réellement, à l’intérieur de soi. Ce qui signifie que l’on peut dépenser des milliards d’euros en show-off, en manifestations bling-bling et autres achats de prestige, cela ne mènera à rien sans évolution, ne parlons pas de révolution ( !) interne.

Ce n’est pas parce que le PSG sera un jour champion d’Europe ou que Ronaldo jouera à Paris que l’on oubliera que le Qatar n’est pas une démocratie, qu’il n’y existe pas de Parlement et que le poète Mohammed Al-Ajami, alias Ibn Al-Dhib, y est actuellement embastillé pour une durée de quinze ans après avoir, quel grand crime ( !), critiqué son émir et, en prime, chanté quelques vers en louanges du Printemps arabe.

Mardi soir, en regardant le match à la télévision et à l’évocation de toutes ces personnalités du monde politique et artistique présentes dans les tribunes officielles du Parc des Princes, je me suis demandé quand donc ces VIP régalés par le Qatar auront le cran d’exiger la libération du poète Al-Ajami. Peut-être, attendent-ils que l’émirat passe de mode et qu’il ferme les cordons de sa bourse. C’est certain, les centaines de millions d’euros ne suffiront certainement pas à forger une belle image durable du Qatar mais, en attendant, ils lui offrent quelques silences intéressés.

(*) Mars 2013.

Mise à jour le 21 octobre 2013 : 
AFP.- La Cour de cassation de Doha a confirmé lundi la peine de 15 ans de prison prononcée en appel contre un poète qatari pour un poème jugé critique du régime du Qatar, a indiqué l'avocat de la défense. "Il a été condamné en cassation à 15 ans de prison", a déclaré Me Néjib al-Naïmi. Mohamed Al-Ajmi, alias Ibn al-Dhib, avait été arrêté en novembre 2011 pour un poème saluant le Printemps arabe et exprimant l'espoir qu'il s'étende aux monarchies du Golfe.
 
 
Condamné le 29 novembre 2012 à la prison à perpétuité pour "atteinte aux symboles de l'État et incitation à renverser le pouvoir", sa peine avait été réduite en appel en février dernier à 15 ans de prison. "C'est un jugement politique et non judiciaire", a déclaré Me al-Naïmi, ancien ministre de la Justice du Qatar, déplorant que ses appels à rouvrir l'enquête pour rejuger son client n'aient pas eu de suite. Il a indiqué qu'il espérait "une grâce de l'émir", cheikh Tamim ben Hamad Al Thani, le dernier recours pour son client qui, a-t-il dit, "croupit en prison depuis deux ans en isolement". Pendant le procès, l'avocat avait fait valoir qu'il n'y avait "aucune preuve que le poète ait prononcé en public le poème pour lequel il était jugé" et assuré que le texte avait seulement été récité "dans son appartement au Caire".
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