Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

vendredi 25 avril 2014

La chronique du blédard : Parlons frangliche !

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 21 avril 2014
Akram Belkaïd, Paris
 
Dans un texte publié dans M, le magazine du Monde, le journaliste Didier Pourquery relève l’emploi croissant du terme « clash » et de ses dérivés (1). Une tendance, rappelle-t-il, qui doit beaucoup aux rappeurs. Imitant leurs aînés étasuniens, ces grands penseurs ont effectivement pris l’habitude de se « clasher » pour un oui ou pour un non, notamment sur les réseaux sociaux. C’est ce qui s’est passé avec la récente – et dramatique – empoignade entre Booba et Rohff, l’un ayant moqué le clip de l’autre, lequel a répliqué par quelques insultes en traitant, parmi moult outrances, son rival de… « fleur de diarrhée ». Tout cela s’est terminé (provisoirement ?) par une agression à dix contre un qui a failli coûter la vie à jeune homme de dix neuf ans (il faut bien comprendre, qu’en France, les querelles entre intellectuels ont souvent tendance à dégénérer).
 
Bref, c’est un fait, le rap est responsable de la propagation endémique du franglais dans le langage quotidien mais il n’est pas le seul. Dans une chronique précédente (2), j’ai déjà abordé la question des jargons propres à l’entreprise de plus en plus globalisée (et donc « globishée »). A cela s’ajoute la multiplication d’anglicismes qui dénaturent le sens de la langue française à l’image de cette insupportable triplette : « adresser », au sens de régler ou faire face à un problème, « définitivement » pour dire « sans aucun doute » et, enfin, « actuellement » comme synonyme de « en fait ». Voilà d’ailleurs ce qui devrait constituer le chantier d’action prioritaire d’Alain Finkielkraut, nouvel académicien et, pour reprendre l’expression de Didier Pourquery, véritable « serial-clasheur »…
 
Le sujet est loin d’être totalement exploré. Aux anglicismes, s’ajoute désormais l’emploi systématique de mots ou d’expressions puisées dans la langue yankee (ne mêlons pas Shakespeare à cette affaire, il n’a vraiment rien à voir). C’est là le nec plus ultra de la branchitude, tendance bolosse qui s’ignore. Car une question simple s’impose : à quoi cela sert-il d’avoir recours à une langue que l’on ne maîtrise pas et dont on ne connaît que quelques bribes scolaires (« surnâme, ça veut dire non ou prénom ? »), sério-télévisuelles (« ah c’est dur en ce moment, 'ouinetère ize cominegue’ »), cinématographiques (« j’le calcule pas en ce moment, s’il me parle, j’lui répond ‘toking tou mi ?’ »), musicales (« ouais, ça va, j’vais bien, ‘âme api naou’ ») ou, enfin, publicitaires (« on se kiffe grave, ‘watte ailsse ?’»).
 
Voici quelques manifestations fréquentes de la « frangliche attitude », longtemps propre aux milieux de la communication et de la finance mais qui ont « spreadé » un peu partout dans la société. Si l’on est content, satisfait d’une nouvelle ou d’un résultat, on lève le coude, on serre le poing et on lance un « yaisse ! » triomphateur. C’est surtout le cas si l’on vient de sortir vainqueur d’une épreuve, pardon d’une « batteule » ou même d’un « faïtte » éprouvant imposé, par exemple, par un collègue jaloux, quelqu’un de notre « time », qui nous a « challengé » et essayé de nous faire sortir de notre « moude zen » en cherchant le clash pendant le « mornine mitinegue ». A l’inverse, si l’on est mécontent et que l’on cherche à signifier sa colère et sa frustration, on peut répéter autant de fois que l’on veut « phoque ! phoque ! phoque ! »  avant de préciser que « cette histoire, c’est quand même ‘tou meutche’ ! » et de prendre à témoin le premier venu avec un « t’en penses quoi, ‘mâne’ ? ».
 
Tenez, installons-nous à cette table en terrasse d’un beau quartier de Paris. Tendons l’oreille et écoutons, sans scrupule aucun, ces deux jeunes femmes qui commencent d’abord par parler d’un « tolke » de la veille et de quelques « posts » sur facebook à « layker ». L’une d’elles n’est pas contente, son chéri veut trop régenter sa vie. « Il cherche à décider de tout. C’est quand même ma 'layfe', merde ! » s’emporte-t-elle. Et d’ajouter : « il n’aime pas sortir, il ne sait que bosser. Tout ce qu’il sait dire, c’est qu’il est dans « 'ze streugueule for sa layfe' au taf ! J’ai peur qu’un jour ça ‘beugue’ dans sa tête. J’te jure, il voit pas les 'warnines' qui s’allument. C’est vraiment pas ‘feune’ ».
 
Celle qui écoute, une brune très « fachionne », n’est pas en reste de confidences. Elle raconte ses soucis au travail, les avances pressantes d’un collègue « 'kute' », certes, mais à qui elle ne cesse d’expliquer que ce n’est pas possible, qu’elle ne veut pas. « J’arrête pas de lui dire que c’est un principe chez moi : « no zaube in ze djobe » ! Mais il ne veut rien comprendre ! ». Pour finir, elles prennent quelques « selfies » et exigent du garçon qu’il encaisse au plus vite parce qu’elles ont intérêt à « speeder » pour arriver à l’heure au boulot.
 
Voilà, c’est « zi ainede » : ce 'couic-louk’ est terminé pour cette fois. Si vous avez quelques observations à faire, « forwardez-moi » vos réactions, je ne manquerai pas d’y répondre. « Asap », bien entendu. Mais « noticez » juste que je reviendrai sur ce topic. « Naixte tayme », promis, vous aurez droit à un texte plus complet. Je vais « chéquer » la doc et rédiger ma chronique « fineguère ine ze noze ». Vous aurez « ze bigue piktcheure », quoi.
 
(1) C’est ça le clash, 18 avril 2014.
(2) Ces mots qui, tels des maux, irritent, 17 janvier 2013.

PS : ajouts grâce aux commentaires et réactions des lecteurs :

- Dans sa boîte, il ne sait pas à quel supérieur il doit rapporter. (to report)
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1 commentaire:

Pitiot a dit…

enfin un praticien de la langue française qui ose se mouiller avec humour, s'il pouvait être "entendu" par les "donneurs de leçons" !