Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

samedi 13 septembre 2014

La chronique du blédard : Treize ans après…

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 11 septembre 2014
Akram Belkaïd, Paris

Il y a treize ans, jour pour jour, les attentats perpétrés à New York et Washington ont ouvert une séquence historique qui encore loin d’être achevée. Ainsi, depuis cette date, chaque événement concernant, de manière directe ou indirecte, le monde arabe peut être lu à l’aune des conséquences de ces attaques menées par Al Qaeda contre les Etats-Unis. Mais avant de poursuivre, on rappellera d’abord à quel point le legs du « nine-eleven » est difficile à accepter pour les défenseurs des droits de la personne humaine. En Amérique du nord comme ailleurs, notamment en Europe occidentale, ces droits ont été rognés au nom de la sécurité. Torture de suspects, emprisonnement sans jugement dans le camp de Guantanamo, fichage de masse, prisons secrètes, écoutes téléphoniques planétaires, juridiction d’exception qui deviennent la norme, intrusion des gouvernements dans la vie privée, voyages aériens compliqués par des mesures de sécurité de plus en plus draconiennes : tout cela est justifiée par la toujours sacro-sainte « lutte contre le terrorisme ». En cela, les instigateurs des attentats du 11 septembre ont atteint un objectif qu’ils ne visaient peut-être pas à savoir une limitation profonde et durable des libertés individuelles. Une atteinte dont la mise en place, ici et là, d’un passeport biométrique n’est que l’un des exemples parmi tant d’autres.

Concernant le monde arabo-musulman, les attentats du 11 septembre 2001 ont eu pour suite une guerre sans fin en Afghanistan, une invasion de l’Irak avec la chute du régime dictatorial de Saddam Hussein cela sans oublier la propagation d’une onde de choc qui a eu une influence certaine sur les révoltes de 2011. Cela, alors que l’on a longtemps pensé que les dictateurs arabes en avaient largement profité pour conforter leur pouvoir à l’image de l’ex-président Ben Ali (rappelons au passage le titre de cet éditorial de l’hebdomadaire L’Express publié le 8 novembre 2001 par le journaliste Denis Jeambar : Ben Ali contre Ben Laden...). La destruction des tours jumelles peut donc être considérée comme le point de départ d’un grand désordre dont nous enregistrons quotidiennement les péripéties. Cela vaut surtout pour la situation au Moyen-Orient. Le démantèlement de l’Etat irakien, la dissolution de son armée menée par les autorités américaines d’occupation et l’encouragement d’un retour au confessionnalisme peuvent expliquer pourquoi les troupes de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) n’ont pas été loin de prendre Bagdad au mois d’août. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si cette organisation, que l’on désigne aussi par l’acronyme Daech (dawla islamiya fil ‘iraq wal cham) et que l’on a vu soudainement surgir sur les devants de l’actualité, est née en 2006. C'est-à-dire à un moment où la revanche des chiites irakiens – longtemps relégués au second plan y compris durant la domination anglaise – a pris une tournure des plus violentes (c’est d’ailleurs en décembre de cette année que Saddam Hussein a été pendu).

Aujourd’hui, la situation en Irak laisse deviner que c’est un nouveau conflit de grande intensité qui se profile au Moyen-Orient et cela alors que la situation reste tendue à Gaza – toujours sous l’emprise de l’implacable blocus israélien – et que commencent à circuler des rumeurs sur une possible nouvelle guerre entre l’Etat hébreu et le Hezbollah libanais. Ce qui est certain, c’est que les Etats-Unis veulent entraîner leurs alliés européens - et leurs vassaux arabes dont ceux du Golfe – dans une action armée contre Daech. La nouvelle est accueillie favorablement par les opinions publiques, y compris arabes, car cette organisation n’a eu de cesse depuis plusieurs mois de multiplier les actes de sauvagerie à un point tel qu’il est difficile de ne pas s’interroger sur sa stratégie. Engagé avant tout contre le régime de Bachar al-Assad en Syrie et contre le pouvoir central irakien, Daech et son chef, le « calife » Abou Bakr Al Baghdadi, ont semblé absolument rechercher la confrontation avec les Etats-Unis et d’autres pays sunnites de la région dont l’Arabie saoudite. Une démarche pour le moins erratique – surtout quand on veut fonder un nouveau « pays » et que l’on a besoin d’alliés - et qui alimente les théories conspirationnistes selon lesquels Daech ne serait rien d’autre qu’une organisation manipulée par les services secrets américains, voire israéliens, pour maintenir la division entre musulmans dans la région.

En tout état de cause, la montée en puissance de l’EIIL interpelle. Comment une telle organisation a pu se procurer autant d’armes pour pouvoir annexer une bonne partie du nord irakien et s’emparer d’une partie de ses richesses pétrolières ? De même, on ne peut s’empêcher de relever que les Etats-Unis vont, certes d’une manière indirecte, rendre service au régime d’Assad en s’en prenant militairement – par des frappes aériennes – aux troupes et installations de Daech. Assistons-nous, au nom de la lutte contre l’Etat islamique, à un bouleversement général des alliances avec, entre autre, un rapprochement qui ne dit pas son nom entre Washington et Téhéran (principal allié du régime de Damas dans la région) ? Est-il temps de se souvenir que pour certains néoconservateurs américains – ceux qui ont poussé l’administration Bush à déclencher l’invasion de l’Irak – l’allié souhaitable pour les Etats-Unis – et Israël – dans la région est l’Iran ?
 
Une chose est certaine, cette énième intervention militaire américaine, si elle se confirme, ne règlera rien sur le plan politique. Les troupes de l’Etat islamique seront peut-être défaites mais des milliers de ses soldats vont s’égayer dans la nature, certains parmi eux s’en retournant dans leurs pays d’origine avec les conséquences que l’on imagine… De même, les tensions entre sunnites et chiites ne disparaîtront pas et cela d’autant que les prédicateurs du Golfe continuent de jeter de l’huile sur le feu en appelant à châtier les « hérétiques ». On le voit, la situation est des plus troubles. Les ennemis des uns pouvant soudainement devenir leurs alliés et cela dans un contexte où deux dossiers majeurs sont loin d’être réglés. D’abord, la question palestinienne qui n’en finit pas de s’enliser. Ensuite, le nucléaire iranien dont, étrangement, plus personne ou presque ne parle…
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