Lignes quotidiennes

Lignes quotidiennes
Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

samedi 4 octobre 2014

La chronique du blédard : Rushs matinaux

_
Le Quotidien d’Oran, jeudi 2 octobre 2014
Akram Belkaïd, Paris

Tableau 1. Il est sept heures quarante-cinq du matin. C’est l’instant critique ou l’on va basculer du statut « dans les temps » à celui de « en retard ». Une main tenant le sac poubelle de la veille, l’autre sa serviette, la troisième son trousseau de clés et son téléphone, on se répète mentalement la check-list établie depuis des lustres pour plus ou moins bien commencer la journée. Et c’est au moment où l’on va claquer la porte que l’on entend une petite voix, mal assurée car devinant l’orage qui va certainement éclater, dire : attend, je crois que j’ai oublié mon carnet de correspondance. Lequel carnet est l’indispensable sésame pour entrer dans le lieu où est dispensé le précieux savoir. On laisse alors tout choir, y compris le téléphone qui, de lui-même, a décidé de tester les lois de la gravité et la résistance de sa coque déjà fêlée. Le sac poubelle en profite pour se déchirer tandis que la voisine, que l’on voulait prendre de vitesse pour l’ascenseur, vient de sortir de chez elle. Dans les dix bonnes minutes qui vont suivre, on va attendre que soit retrouvé ce (bip) de carnet. Il ne le sera pas et c’est donc avec la perspective d’être doublement collée (retard et entrée sans carnet) que l’adolescente prendra le chemin du collège.

Tableau 2. Il est sept heures cinquante. Les bonnes résolutions de début d’année en matière de ponctualité se sont évaporées avec les derniers jours d’été. Là, c’est le statut « courir » qui s’illumine en lettres rouges. Pas le temps de s’occuper de la poubelle ni de rien d’autre. Ça y est, c’est bon. On va prendre l’ascenseur avant la voisine. C’est là, vous l’aurez compris, qu’une petite voix, mal assurée car devinant la tempête qui va éclater, dit : tu as signé la feuille ? La feuille ? Mais quelle feuille ? interroge-t-on en réprimant un hurlement, le même qu’on pousse quand le marteau rate le clou et écrase le pouce (ou l’index ou les deux). Bah, la Charte de l’école, poursuit la voix du pré-ado qui précise : je t’en ai parlé hier mais tu m’as dit plus tard. Et, la même voix, un peu plus culpabilisante, d’ajouter : il y a aussi l’autorisation pour la sortie au musée. On prend une longue inspiration. Que faire d’autre si ce n’est d’encaisser ? Un genou posé à terre, on signe donc les dits documents en attendant l’ascenseur qui joue à l’omnibus. C’est certain, cette fois encore, il y aura retards et colles…

Tableau 3. Il est sept heures trente-cinq. La colère homérique de la veille a eu ses petits effets. La mauvaise troupe est prête à se mettre en route. Instruit par l’histoire, on demande tout de même s’il n’y a rien à signer et si rien n’a été oublié. Réponses négatives. On se prépare à sortir quand, une petite voix, celle du pré-ado, se fait entendre. Heu, attends, je crois que je devais imprimer les quatre pages pour la techno. Dans ce genre de circonstances, la raison et l’intelligence commandent le pragmatisme. Il ne sert à rien de demander en hurlant pourquoi cela n’a pas été fait la veille en lieu et place du visionnage d’un énième épisode de Clone Wars. Il ne sert à rien de promettre une punition qui, de toutes les façons, la détente du week-end venue, sera annulée. Il ne sert à rien non plus, époque et peur du 119 (numéro d’urgence pour les enfants maltraités, ndc) obligent, d’envoyer un aller-retour sur les joues du concerné. Courrons donc à l’imprimante qui, cela coule de source, met du temps à chauffer et qui, au final, multiplie les messages d’erreurs. Bourrage papier, manque d’encre, tout cela arrive toujours à ces moments de rush et de cavalcade. L’objet finit par se mettre en marche. On jette un coup d’œil aux quatre pages. Technologie des transports. Ah oui, c’est vrai. Au collège, en sixième, alors que les élèves ne maîtrisent toujours pas la règle de trois (dada du chroniqueur pour ceux qui le lisent régulièrement), on leur apprend le fonctionnement du cardan (terme que, néanmoins, tous les conducteurs algériens soumis aux dégâts des nids-de-poule connaissent…). Bref, imprimons et courrons en râlant.

Tableau 4 ; Il est sept heures cinquante-cinq. Il pleut à l’extérieur. Pendant la nuit, un orage a provoqué une coupure de courant et le réveil n’a donc pas sonné. La faute à pas de chance. Course contre la montre. Vite, vite, vite d’autant qu’il y a des contrôles de prévu ce matin. Pas de check-list, pas de dernière vérification. Même pas question de prendre le petit-déjeuner. Une barre chocolatée fera l’affaire, et tant pis pour les règles d’usage de la nutrition et du dogme des cinq fruits et légumes quotidiens. On referme la porte derrière soi mais là, un sixième sens – le même que celui de Dr Justice (personnage que les moins de quarante ans ne peuvent pas connaître) – nous avertit de l’imminence d’une tuile. On interroge. Vous n’avez rien oublié ? Si, dit la voix de la collégienne. Quoi donc ? demande-t-on en se mordant les lèvres. Il me faut des tickets de métro. Et pourquoi donc ? Tu as perdu ton pass navigo ? Non, répond la candide, mais tu as oublié de renouveler l’abonnement. Je t’en ai parlé la semaine dernière. Là aussi, on encaisse. On réfléchit vite. Heureusement, le marchand de journaux du coin vend des tickets et renouvelle même les abonnements. Allez soldat, on se détend. Quoi ? Comment ? L’ascenseur est de nouveau en panne. Ce n’est pas grave. Allez, vite, on se dépêche. Qu’est-ce qui peut bien arriver d’autre ? Ah oui, c’est vrai. Une grève des bus…
_

Aucun commentaire: