Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

samedi 6 décembre 2014

La chronique du blédard : Algérie – Maroc : attention, danger !

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 4 décembre 2014
Akram Belkaïd, Paris

Il y a quelques jours, les supporters du Raja de Casablanca, un club de football marocain, ont adressé à leurs homologues algériens un beau message de fraternité opposé à toute discorde. « Nous sommes frères, la fitna ne va pas nous séparer » était-il écrit sur des banderoles déployées à l’occasion d’un match de championnat. Dans la foulée, le public du Raja a aussi entonné des chants de soutien aux Algériens et à leur équipe nationale pour la prochaine Coupe d’Afrique des Nations qui aura lieu en janvier prochain en Guinée équatoriale. Pour celles et ceux qui ne suivent pas l’actualité du foot, rappelons que cette compétition devait avoir lieu au Maroc mais que ce pays a souhaité ne pas l’accueillir en raison – officiellement – des risques présentés par l’épidémie d’Ébola. Un refus, qui vaut aux Lions de l’Atlas – surnom de l’équipe nationale marocaine – d’être exclus de la CAN. Quelques jours plus tard, en Algérie, des supporters du CS Constantine ont répondu aux Rajaouis en déployant une grande banderole dans leur stade. Il y était écrit le message suivant : « Merci aux supporters du Raja. La politique nous a divisé, nos racines nous réunissent ». Qui a dit qu’Algériens et Marocains se détestent ? Et qui a intérêt à le faire croire ?

Dans le contexte nauséabond qui caractérise actuellement les relations diplomatiques algéro-marocaines, ces gestes d’amitié réciproque apportent un peu de baume au cœur. En effet, depuis quelques mois, c’est une méchante musique que l’on entend de part et d’autre de la frontière fermée. Incidents armés, certes isolés, déclarations outrancières, insultes à peine voilées, campagnes de dénigrement sur les réseaux sociaux, accusations mutuelles de tentatives de déstabilisation : la palette des actes et propos négatifs est des plus larges et il n’est pas exagéré aujourd’hui de craindre que l’habituelle paix froide entre nos deux pays se transforme petit à petit en conflit de basse intensité. Cela, à dieu ne plaise, jusqu’à ce que l’on se réveille un matin avec l’annonce d’une vraie crise voire d’une guerre ouverte. D’ailleurs, et au risque de choquer, le présent chroniqueur se doit de confesser qu’il est heureux que le Maroc ait décidé de ne pas accueillir la Coupe d’Afrique des Nations. Cela nous évitera que des hooligans algériens – et il y en a – ne provoquent des incident dans le Royaume. Il n’est pas difficile d’imaginer le scénario catastrophe qui aurait suivi : représailles policières, tensions diplomatiques, appels à la fierté nationale, rumeurs, colères populaires plus ou moins spontanées. Le football n’a jamais été la guerre mais c’est un bon prétexte pour la déclencher…  

Il n’est pas question pour l’auteur de ces lignes de s’engager dans un stérile « qui a fait quoi » et encore moins de chercher à savoir qui a commencé le premier ou qui a le plus tort dans l’affaire. Le fait est que, dans les deux camps, il y a des pousse-au-crime, des gens qui jettent de l’huile sur le feu et qui se comportent comme si le voisin, autrement dit le frère, est l’ennemi numéro un. Dans les deux pays, il y a de la mauvaise foi, des insultes inacceptables et des préjugés alimentés par le fait que nos deux peuples ne se connaissent plus ou presque. Dans les deux pays, il y a des inconscients qui pensent que jouer avec une grenade dégoupillée ne présente aucun risque. Ce sont des apprentis-sorciers qui nous mènent au pire.

Car l’affaire est aussi politique. Dans les deux cas, nous avons affaire à des régimes en difficulté et cela pour des raisons assez différentes mais sur lesquelles ce texte ne va pas s’appesantir car c’est l’un des maux qui caractérisent nos relations. L’Algérien ne supporte pas qu’un Marocain critique son pays – même si les arguments présentés sont fondés – et la réciproque est vraie. Donc mettons de côté l’aspect analyse et retenons ce point majeur : à Alger comme à Rabat, la tension bilatérale, demain des événements plus graves – sont jugés comme nécessaires et profitables. Cela permet de ressouder les rangs, de faire taire la critique interne, de menacer les opposants de « trahison » et d’occuper les médias en donnant du grain à moudre à d’innommables torchons. Cela crée des clientèles, cela fait le bonheur des marchands d’armes (où nous mène cette escalade en matière d’achats de matériels militaires ?) et cela renforce l’idée que les Maghrébins seront toujours incapables de s’entendre.

Dans cette (triste) affaire, il est édifiant que les appels à la raison viennent de supporters de football. On parlera de bon sens populaire à l’heure où les « élites » des deux pays sont muettes et refusent de s’opposer publiquement à cette dérive. Pire, elles évitent de se parler, se réfugiant derrière le sempiternel « ça ira mieux entre nous quand ça ira mieux chez vous ». Pour diverses raisons, elles ne veulent pas construire ensemble un argumentaire basé sur la raison et la fraternité. Elles refusent de contribuer à diffuser l’idée que, dans le monde tel qu’il évolue maintenant, il est impossible que les deux pays s’en sortent seuls. C’est à ces élites de refuser de suivre les joueurs de pipeau qui les entraînent vers le précipice. Le rapprochement entre l’Algérie et le Maroc n’est pourtant pas une utopie : c’est une urgence.
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