Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

vendredi 15 avril 2016

La chronique du blédard : Ce voile qui (les) rend fous et folles

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 14 avril 2016
Akram Belkaïd, Paris

« Le voile est une obsession française qui m’apparaît aussi irrationnelle que suspecte ». Il m’est souvent arrivé de dire ou d’écrire cette phrase destinée à interroger l’intensité et la passion qui caractérise tout débat autour de cette question. Ce fut le cas, il y a quelques années lors d’une conférence dans une ville du sud-ouest de la France. A peine prononcée, elle m’a valu une véritable bronca de la part d’une partie de l’assistance réunie par des associations de gauche. Amusé, j’ai alors relevé que ces réactions confirmaient bien ce que je venais de dire et que s’il y a bien un sujet sur lequel il est difficile de faire entendre un avis plus ou moins original, c’était bien celui du foulard dit islamique. J’ajoutais que j’avais conscience du caractère minoritaire de cette position et qu’il me serait bien plus facile – et rentable en termes de droits d’auteur et de visibilité –de joindre ma voix à celles, présentées comme « dissidentes » au sein de la grande famille berbéro-arabo-musulmane, qui prônent une opposition non-négociable au voile. Quelques temps plus tard, interviewé par un quotidien hexagonal, j’ai constaté, sans grande surprise, que la seule partie de mes propos qui n’avaient pas été reproduits concernait la mention de cette fameuse obsession.

Il serait malhonnête, sur le plan intellectuel, de mettre tous les opposants au voile dans le même sac. A force de discussions, y compris heurtées, je peux témoigner qu’il existe des convictions sincères basées sur une quête d’égalité et de défense des droits de la femme. C’est au nom de luttes passées pour l’émancipation que certaines femmes, ou certains hommes, disent non au voile. Ils y voient une régression et réfutent toute idée de racisme ou d’islamophobie. Mais l’une des erreurs de ces personnes est de ne pas élargir leur champ de vision et, surtout, de ne pas prendre conscience de ce que signifie vraiment l’interdiction de ce vêtement pour de nombreuses femmes qui revendiquent le droit, et la liberté (c’est ainsi) de le porter. J’ai souvent entendu cette phrase étrange selon laquelle le port du voile signifierait la défaite du combat féministe. Comme s’il n’y avait que cela comme « menace ». Comme s’il n’y avait pas d’autres combats – à commencer par l’inégalité salariale ou le partage des tâches ménagères – qui mériteraient autant de ferveur et de mobilisations.

Mais il ne faut pas être naïf. Le voile est le sujet idéal pour l’expression de nombre d’impensés ou pour la matérialisation d’inconscients collectifs. De jeunes françaises qui se voilent, c’est, pour certains, une nouvelle défaite du colonialisme. Oh, pas le colonialisme dont on s’accorde à dire qu’il fut un désastre et une terrible injustice. Non, c’est plutôt le colonialisme « romantique » ou à « effets positifs », celui de Jules Ferry, celui de l’émancipation de peuples « arriérés », mission que la France, flambeau des droits de la personne humaine, avait (a toujours…) pour mission de mener à bien. Quel étrange retour de bâton, n’est-ce pas ? A la fin des années 1950, en Algérie, la propagande coloniale a enjoint aux femmes indigènes d’enlever leur haïk, autrement dit leur voile traditionnel. Quand on rappelle cet épisode, cela envenime la conversation, signe que l’on touche-là à un point des plus sensibles.

Soyons clairs. Je ne défends ni ne réclame le port du voile. Pour moi, c’est une question de choix individuel chez des personnes majeures (la question des adolescentes est autrement plus compliquée à aborder qu’on ne le croit mais il est hors de question d’accepter l’idée des gamines puissent être voilées). On me rétorquera que ce n’est pas le cas. Que c’est la pression du père, du frère, de l’époux ou du quartier dans son ensemble. C’est certainement vrai mais en partie et cela ne peut justifier que l’on limite les choix individuels. Une société où l’on décide de ce qui est bien ou non pour une partie des citoyens – sans jamais leur demander leur avis - ne peut être cohérente avec l’idée que l’on se fait de la liberté et des droits de la personne humaine.

Il convient aussi de ne pas ignorer que le voile est instrumentalisé y compris à gauche ou, plus exactement, chez la pseudo-gauche, celle qui affirme qu’elle n’est ni raciste ni islamophobe parce que, justement, elle est « la » gauche (et qu’elle aime le couscous…). Ainsi Manuel Valls, ce Premier ministre qui a piteusement échoué dans sa mission principale de faire baisser le chômage (première préoccupation des Français). On ne s’étonnera donc pas de voir ce matamore agiter les questions identitaires dans l’optique de l’élection présidentielle de 2017. On ne s’étonnera certainement pas de le voir relancer le débat de l’interdiction du voile à l’université, histoire de faire naître quelques polémiques et d’éviter de devoir rendre des comptes sur son bilan pitoyable. Voile : synonyme de diversion politique…

Lancé sur les réseaux sociaux par le journaliste Nadir Dendoune, le mouvement « tous voilés » a signifié le ras-le-bol de cette instrumentalisation quasi-permanente (*). Un ras-le-bol qui, jusque-là n’était que très peu relayé par les médias influents. Le succès de cette initiative, y compris et surtout auprès de personnes n’ayant rien à voir avec l’islam, montre que la question est bien plus complexe que ne veut le faire croire la « féministe » Elisabeth Badinter dont le discours anti-voile cache mal sa détestation de tout ce qui peut provenir du sud et de l’est Méditerranée et qui n’entend pas se plier à ses injonctions identitaires et politiques.

Terminons cette chronique par ce pari. Imaginons que demain les femmes voilées décident d’abandonner leur fichu. Certains de leurs contempteurs s’estimeront satisfaits et en resteront là. Mais seront-ils nombreux. Pas si sûr… Car, après le voile, ce sera au tour du prénom, de la binationalité, du hallal, du ramadan ou de que sais-je encore. Car le voile ne cache pas uniquement les cheveux de celles qui le portent…

(*) https://tousvoiles.wordpress.com/

Addenda :

Lu, sur la page facebook de la journaliste Mona Chollet, ce rappel qui met en exergue d’étranges coïncidences…

- 2003: réforme des retraites (loi Fillon). Fort mouvement de contestation. "Débat" sur le voile à l'école (loi d'interdiction en 2004).
- 2010: nouvelle réforme des retraites. "Débat" sur la burqa dans l'espace public (loi d'interdiction votée en octobre 2010).
- 2013: nouvelle modification du régime de retraite. Lancement de la polémique sur une éventuelle interdiction du voile à l'université.
- 2016: révolte contre la loi travail. Polémique sur la "mode islamique"; relance par Manuel Valls du "débat" sur le voile à l'université.
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1 commentaire:

Bernard a dit…

En France ce n'est pas le voile qui est interdit mais de se cacher le visage et ceci pour des raisons évidentes de sécurité. Ma grand mère et ma mère portaient le foulard, et, en France de nombreuses magrébines portent le foulard ça ne gène personne. Non la vrai question est celle là: pourquoi les femmes et pas les hommes.