Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

vendredi 6 mai 2016

La chronique du blédard : Giorgio, l’Allemande et le gigolo

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 5 mai 2016
Akram Belkaïd, Paris

Tiens, j’ai une belle histoire à te raconter. Un truc de téléréalité tunisienne. Oui, monsieur, ça existe ! L’occidentalisation du Maghreb mais façon discount, vulgos de vulgaire, le vingt et unième siècle et ce qu’il nous apporte comme aliénation venue du nord. C’est une émission avec un présentateur vedette en studio, façon « Perdu de vue » de Jacques Pradel, et des caméras sur le « terrain ». Dans le public, tu as pleine de jeunes filles qui sont là, m’a-t-on dit, pour trente dinars. On leur donne rendez-vous au Menzah et elles passent d’une émission à l’autre avec leur joli minois. Bref, ce soir-là, il y avait une Allemande, la cinquantaine, un visage chevalin. Tu sais comment j’ai su qu’elle était allemande avant même qu’elle ne le dise ? C’est sa manière de parler l’anglais qui m’a mis sur la voie.

Son accent ressemblait à celui de Giorgio Moroder. Tu ne vois pas qui c’est ? Mais si ! Si je te dis Donna Summer, la queen du disco ? Les tubes avec des synthétiseurs ? Non ? Et la musique de « Midnight Express » ? Ah, tu vois ! Oui, c’est lui avec le fameux « Chase ». Superbe musique, hein ? Bon, film ultra-violent et raciste, complètement anti-turc, mais belle musique. Oh si ! C’est vraiment un film raciste, ça ne se discute même pas ! En Turquie, personne n’a oublié cette phrase que Billy Hayes lance au juge qui vient de le condamner pour trafic de drogue : « Pour une nation de porcs, c’est drôle que personne n’en mange. » Tu vois… D’ailleurs, le vrai Billy Hayes est retourné en Turquie en 2007 et il a demandé pardon pour le tort fait à l’image de ce pays. Même ce salopard d’Alan Parker, le réalisateur, a fini par s’excuser. Mais bon, Giorgio Moroder, lui, ça reste un grand musicien.

Tu l’entends parler anglais dans le dernier album de Daft Punk. En fait, c’est un Italien mais il a toujours vécu en Allemagne, donc il a l’accent allemand. Le morceau avec les Daft dure neuf minutes. Un régal. Des synthétiseurs, du funk, un peu de disco et lui, avec sa voix un peu enrouée, qui raconte sa vocation de musicien. Il voulait inventer « la musique du futur » et il a réussi à le faire bien avant Jean-Michel Jarre ou Tangerine Dream. Dans le morceau en question, il y a cette phrase : « My name is Giovanni Giorgio but everybody calls me Giorgio ». C’est devenu un signal de reconnaissance, un truc culte. Tiens, il dit aussi que pour créer, pour se libérer l’esprit, il faut s’affranchir de l’exigence d’harmonie ou de musique correcte. Et que quand on y arrive, tout est possible, on peut faire ce que l’on veut. Ça doit marcher aussi pour l’écriture. Se libérer des règles… J’ai lu quelque part que les gars de Daft Punk l’on enregistré avec des micros des années 1970, histoire de récréer le son de l’époque… Des malades !

Bref, pourquoi je te raconte cette histoire ? Ah oui, donc la femme en plateau a le même accent que Giorgio et c’est comme ça que j’ai compris qu’elle était allemande. Elle a raconté son histoire et c’était pathétique, gênant. Sur internet, elle fait la connaissance d’un Tunisien de dix-neuf ans. Tu devines la suite. Les échanges, les mails et ensuite les conversations sur Skype. L’amour électronique, khô… Ensuite, c’est l’histoire habituelle. Il se plaint, il a des problèmes, il lui raconte qu’il est gravement malade, qu’il a des ennuis en tous genres, qu’il veut monter une petite affaire pour sortir du chômage. Elle lui envoie de l’argent. Il promet de rembourser. Ça dure des mois. Au final, la note est salée. Je ne sais plus. Vingt mille euros, je crois ou plus. Une grosse somme en tous les cas. Bien sûr, l’Allemande n’a jamais revu ses sous et elle s’est déplacée en Tunisie pour raconter son histoire à la télévision. « I want my money back » a-t-elle dit et j’ai pensé qu’elle avait effectivement un air à Thatcher. Le nez ou les dents, je ne sais pas.

Ensuite, on voit une journaliste qui trottine dans un coin de la zone touristique de Hammamet pour retrouver la trace du filou lequel, bien sûr, ne donne plus signe de vie à la dame éplorée. Je te passe les péripéties et les commentaires en plateau de l’animateur qui fait passer un sale quart d’heure à la pauvre dulcinée accusée de naïveté. Le gamin a donc disparu mais la journaliste de « terrain » retrouve son père qui accepte bon gré, mal gré, de répondre aux questions de l’animateur. C’est comme ça qu’on apprend que son fils, qui menait grand train avec l’argent de l’allemande, a « brûlé » ... C’est le serpent qui se mort la queue. Piquer son fric à une européenne pour entrer clandestinement en Europe. Recyclage de devises… Bien entendu, le père a juré qu’il ne s’est posé aucune question quand il a vu son fils dépenser autant de flouss en sorties et fêtes…

A un moment, l’animateur lui a demandé comment lui, ou son fils, comptaient réparer l’outrage et rembourser l’argent. Le père a juré qu’il n’avait pas les moyens de rendre le fric mais il a affirmé que son fils était absolument d’accord pour épouser l’Allemande. Problème, celle-ci aurait refusé. L’animateur a donc demandé à la concernée pourquoi elle ne voulait pas de cette union. « Parce qu’il est plus jeune que moi et que, une fois mariés, il serait allé voir ailleurs » a-t-elle réponde. Logique imparable et lucidité tardive… L’animateur a transmis la justification mais ça n’a pas eu l’air de convaincre le père qui a eu cette phrase : « Je suis sûr que si mon fils se marie avec elle, il s’engagera à ne pas la quitter pendant quinze ans. Et il tiendra sa promesse. Au bout du compte, elle aura 75 ans et elle pourra alors se passer de lui. » Un gigolo, rien d’autre… Tiens, à propos de musique allemande, tu te souviens de Royal Gigolos et de leurs reprises disco ? Mais, si, attends, reviens. J’ai juste deux ou trois trucs à te raconter sur eux !
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