Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

vendredi 1 juillet 2016

La chronique du blédard : Foot, capitalisme et Brexit

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 30 juin 2016
Akram Belkaïd, Paris

Bill Shankly, le mythique entraîneur de Liverpool, connu pour sa fameuse phrase « le football n’est pas une affaire de vie ou de mort, c’est plus que cela » a aussi déclaré un jour que « le football est un sport simple rendu compliqué par les gens qui n’y connaissent rien. » J’ai repensé à cette déclaration en suivant le match entre l’Islande et l’Angleterre qui s’est terminé par la victoire surprise – et historique - des « Strákarnir okkar » (nos garçons) et par l’élimination honteuse – et tout aussi historique – de « The Three Lions » (les trois lions).

Un sport simple donc qui consiste à marquer plus de buts que l’adversaire ou, c’est selon, à faire en sorte d’en encaisser moins que lui. Le reste n’est que littérature et prise de tête tactique et statistique. Ceux qui suivent le foot de près auront d’ailleurs remarqué l’inflation des chiffres dans l’analyse de telle ou telle rencontre (« machin a couru huit kilomètres », « l’autre a franchi quinze fois la ligne médiane balle au pied »,…). Ils auront aussi remarqué la précision poussée à l’extrême dans la description des schémas tactiques : 4-1-3-2 ou alors 4-3-1-2, ou bien, comme j’ai pu l’entendre dans la bouche d’un ancien international français devenu « consultant » : « un dispositif en losange qui va évoluer en 4-3-2-1 au fil du match… ». Du bla-bla stérile dont l’origine vient des Etats-Unis où la somnolence provoquée par les matchs de base-ball a donné naissance à une foule de statistiques destinées à donner un peu de densité aux articles sportifs (et à faire engranger quelques bénéfices aux entreprises spécialisées dans la collecte de ce genre de données inutiles).

Cela me rappelle une partie que nous avions disputée au stade de Ben Aknoun sur les hauteurs d’Alger. Notre professeur d’éducation physique – ce devait être en classe de Première, année passée à jouer au football et au basket-ball  et à écouter de la musique – nous avait réunis en cercle au bord d’un terrain en tuf raviné par la pluie. Ardoise et craie à la main, il avait entrepris d’expliquer le schéma de jeu qu’il voulait nous voir appliquer. Au bout de dix minutes d’explications aussi assommantes que confuses, et comme il était à peine plus âgé que ses élèves, l’un d’entre nous a eu cette phrase qui est restée les mémoires : « M’ssieur, on s’en fout d’ça !Pose le ballon au centre et laisse-nous jouer !».

Si les Islandais ont gagné, c’est parce qu’ils le voulaient plus que leurs adversaires. Ils ont utilisé leurs arguments : une défense de fer, deux lignes de joueurs soudées, un pressing permanent sur l’adversaire et l’usage offensif de la touche. Arrêtons-nous un instant sur ce geste de remise en jeu d’un ballon qui vient de sortir. Il est toujours étonnant de voir des joueurs internationaux le rater ou de ne pas savoir quoi faire de la balle quand elle est dans leurs mains et derrière leur tête. Le défunt Johann Cruyff disait qu’une passe en arrière est le commencement d’un but. Les Islandais viennent de rappeler que cela vaut aussi pour une touche et qu’il n’est nul besoin de la remplacer par une remise en jeu au pied (un projet de modification du règlement qui revient régulièrement à la surface) pour améliorer le caractère offensif d’un match.

Si les Anglais ont perdu, c’est parce qu’ils sont rentrés sur le terrain en se voyant déjà en quart de finale. C’est aussi parce qu’une bonne partie d’entre eux était épuisée après une saison aussi longue qu’un jour de jeûne en juin à Reykjavik. Enfin, comme l’a écrit l’affreux Joe Barton (un ancien joueur anglais) dans le quotidien L’Equipe, c’est aussi parce que leur entraîneur, comme nombre de ses pairs anglais, n’a absolument pas le niveau exigé pour une telle compétition. Et cela vaut aussi pour nombre de joueurs de cette équipe. Le paradoxe est le suivant : le championnat de football anglais, la « Premier League » est présenté comme le meilleur au monde. Il y a débat sur ce point mais ce qui est sûr c’est que c’est aussi le plus riche et celui qui attire le plus de talents étrangers. Grâce à des droits de retransmission télévisée plus que conséquents, des clubs de bas de tableau ont bien plus de moyens que de grandes formations françaises ou italiennes et peuvent donc « acheter » n’importe quel joueur continental.

L’effet pervers de cette situation est que les jeunes joueurs anglais ont du mal à percer. Il n’est pas rare lors d’une compétition de la « Premier League » d’avoir vingt-deux joueurs étrangers sur le terrain. Cela vaut aussi pour les entraîneurs. Pendant la saison qui va débuter dans quelques semaines (eh oui, madame, le foot à la télé, ça ne s’arrête presque jamais…), il ne sera question que de Guardiola, Mourinho ou Wenger pour ne nommer que les plus connus. Le football anglais est donc riche et pauvre à la fois. Mais les choses risquent de changer.

Avec l’élimination de l’Angleterre, les commentateurs et les réseaux sociaux s’en sont donnés à cœur joie sur le thème du « second Brexit ». Après le vote en faveur de la sortie de l’Union européenne suivait donc la sortie de l’euro de football. Ce Brexit, quand il va se concrétiser, aura des conséquences sur le football anglais. Le Royaume-Uni n’étant plus concerné par la libre-circulation des travailleurs européens, les joueurs continentaux devront obtenir des permis de travail et on peut penser que leur nombre va diminuer. Cela affectera certainement la qualité du spectacle mais cela donnera leur chance aux joueurs du cru.

Et il faut se garder de penser que le public anglais sera mécontent. En effet, nombre de fans ont déserté depuis longtemps les gradins de la Premier League, mécontents des prix pratiqués et de l’aseptisation des ambiances avec ces cohortes de touristes, notamment asiatiques, qui paient leurs places au prix fort et qui suivent sagement la rencontre en la filmant avec leur tablette. Les fans anglais suivent désormais les rencontres de divisions inférieures où les joueurs locaux sont plus nombreux (et où le « kick and rush » continue d’être la règle). On a beaucoup parlé des causes du succès du vote en faveur du Brexit, et parmi elles l’aggravation du sentiment anti-immigration. A cela, il faudrait ajouter le courroux de milliers de supporters convaincus d’avoir été dépossédés de leur football au profit d’une vision ultra-mercantile de ce sport. Et comme c’est souvent le cas dans ce genre de contexte, ce n’est pas la critique de ce système capitaliste débridé qui est faite (on en est arrivés au point où les corps de certains joueurs sont parfois considérés comme des « sociétés » dont les parts sont détenues par des investisseurs). Au contraire,  c’est malheureusement la tentation xénophobe et du repli sur soi qui prévaut.
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