Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

lundi 26 septembre 2016

Petite conversation diplomatique (presque) imaginaire à l'usage des naïfs prompts à s'emballer...

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- Allô ? Comment-allez vous ?
- Bien, merci, et vous ?
- Oh, ça va... Quel temps à Alger ?
- On sort doucement de l'été. Et chez vous ?
- On a encore quelques beaux jours. Dites-moi, vous savez comment vont les choses chez nous...
- Ah ça, oui, on regarde Le Petit Journal... Les primaires et tout le reste...
- C'est bien pour ça que je vous appelle. On est obligés de vous cogner un peu. Ne le prenez pas mal. Comme toujours, c'est pour une consommation interne. On va parler des choses qui sont censées vous fâcher... On changera de ton après les élections. D'ici là, il faut que ça tangue... Il y a des voix qu'on est obligés d'aller chercher...
- Pas de problèmes mon ami ! On a l'habitude. D'ailleurs, ça nous arrange. On sera obligés de répondre mais, comme toujours, ce sera pour la consommation interne. Il faut bien que ça s'anime un peu...
- Bien, à très bientôt alors.
- Oui, à très vite. Il faudra qu'on parle de vive voix des projets en cours.
- Absolument !
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dimanche 25 septembre 2016

Edgar Morin par Leonardo Jardim

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Dans L'Equipe magazine, Leonardo Jardin, entraîneur de l'AS Monaco (football), explique ce qu'est sa "méthodologie écologique" en matière d'entraînement. Il évoque aussi l'influence qu'exerce sur lui la pensée d'Edgar Morin.

Extrait :

"Edgar Morin a une vision globale du monde, de la complexité des facteurs qui interagissent. Face à l'échec, il ne va pas chercher à simplifier et à pointer du doigt un manquement. Il a une perception symphonique de la vie. Eh bien, transposé au football, c'est la même chose (...) Une équipe qui marche bien, c'est un orchestre où tous les instruments jouent sur le même tempo. Quand il ne marche pas, c'est une succession d'erreurs : les interprètes, la qualité des instruments, le chef d'orchestre, et tant d'autres facteurs imperceptibles de l'extérieur. Le foot est complexe. Ill faut l'analyser ainsi et éviter la simplification."

Pour mémoire, Leonardo Jardim, c'est l'entraîneur longtemps moqué par les polyglottes (warf...) du Petit Journal de Canal+ et de la beaufosphère parce qu'il parle français avec un fort accent portugais.
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La chronique économique : Orthodoxes contre hétérodoxes

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Le Quotidien d’Oran, mercredi 21 septembre 2016
Akram Belkaïd, Paris

C’est la grande polémique de la rentrée. Elle secoue le petit monde des économistes français où les oppositions, même les plus vives, sont généralement plus feutrées. A l’origine de l’affaire, la publication d’un livre par deux économistes, Pierre Cahuc et André Zylberberg, qui s’en prend avec une rare violence aux « hétérodoxes », comprendre celles et ceux qui ne partagent pas les idées dominantes en matière de libéralisme et de culte du marché (1). Pour résumer le propos – outrancier - des deux auteurs, on dira qu’ils affirment que les économistes orthodoxes sont les seuls que l’on doit prendre au sérieux puisqu’ils usent de méthodes scientifiques et expérimentales pour asseoir leurs travaux. Quant aux autres, c’est-à-dire les hétérodoxes, ceux qui alimentent en idées le mouvement altermondialiste ou bien encore, les adeptes d’une approche de l’économie plus en adéquation avec les sciences sociales – voire plus littéraire – ils sont voués aux gémonies et qualifiés de « négationnistes ». Autrement dit, ils seraient comparables à ceux qui nient la réalité de la Shoah… On appréciera la comparaison à sa juste valeur. Et les deux compères de souhaiter, parfois noms à l’appui, que leurs damnés confrères ne soient plus sollicités par la presse et que l’accès à l’enseignement leur soit interdit. Rien que ça…

Une véritable inquisition

Dans un premier temps, ce brûlot a reçu l’accueil favorable de nombre de publications toujours promptes à défendre et à relayer la pensée unique. Du quotidien Les Echos à l’hebdomadaire Challenges, l’ouvrage a été présenté comme une salutaire mise au point. Problème, de nombreux économistes, y compris des « orthodoxes » ont démoli ses arguments et pris leur distance avec ses thèses. On lira à ce sujet la réponse du mensuel Alternatives économiques, lui aussi étrillé par les deux inquisiteurs (2). Face à la vigueur des réactions, ces derniers, outranciers mais couards, ont tenté de faire machine arrière, expliquant que leur livre se voulait d’abord un plaidoyer pour la diversité des idées et des approches (amusant quand on sait à quel point la pensée hétérodoxe a du mal à se faire entendre…). De même, ont-ils affirmé que la recherche économique se devait d’être neutre sur le plan politique. On signalera juste au passage que l’un des deux auteurs, en l’occurrence Pierre Cahuc, a été un fervent soutien de la récente et très décriée loi sur le travail et qu’il n’a de cesse de vouloir prouver l’inefficacité de la réduction du temps de travail dans la lutte contre le chômage.

Un culot rare

A bien y réfléchir, la publication de ce livre n’est pas étonnante. Elle fait partie d’une stratégie de reconquête après quelques années de désarroi provoqué par la crise financière de 2008. Qu’on le veuille ou non, cette dernière a démontré à quel point l’économie dite orthodoxe s’est trompée en sacralisant, entre autre, les marchés financiers et leur fonctionnement prétendument efficient. Nombre d’économistes qui n’ont eu de cesse de vanter les mérites de l’ultralibéralisme auraient mérité de changer de métier et de se taire. Aujourd’hui, et alors que même le Fonds monétaire international (FMI) reconnaît qu’il s’est trompé sur plusieurs sujets (sur la convertibilité totale des monnaies ou sur les politiques d’austérité), ces charlatans qui veulent absolument faire croire que l’économie est une science exacte redressent la tête. Avec un culot rare, ils développent un bien curieux discours : certes, ils reconnaissent (parfois) s’être trompés mais jurent que, dans le fond, ils sont les seuls à posséder le savoir et les connaissances et qu’il faut donc continuer à leur faire confiance et n’écouter qu’eux. Les « médecins » du XVIII siècle qui tuaient leurs patients en leur infligeant des saignées à répétition ne disaient pas autre chose…

(1) « Le négationnisme économique et comment s’en débarrasser », Pierre Cahuc et André Zylberberg, Flammarion.
(2) « Négationnisme économique » : l’affaire Cahuc, Christian Chavagneux, http://www.alterecoplus.fr, 12 septembre 2016


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La chronique du blédard : Les quêtes de Jason

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 22 septembre 2016
Akram Belkaïd, Paris

C’est l’histoire du soldat Ryan, tu sais ce gars de la 101ème aéroportée. Un fois sauvé par Forest Gump et ses hommes, il devient capitaine de l’équipe des Springboks. Il prend le thé chez Mandela qui lui récite un beau poème que tout le monde a fait semblant de connaître quand Madiba s’en est allé rejoindre le grand Veld. Ensuite, le type a été recruté par la CIA. On le retrouve flottant dans la Méditerranée, à moitié mort, une puce dans la peau. Il est finalement sauvé par des pêcheurs et il comprend qu’il doit aller à Zurich, histoire de récupérer un peu de cash comme Cahuzac et de comprendre qui il est. Tu vois, Jason Bourne, sa toison d’or, c’est la mémoire. Tout le reste, les bagarres, les poursuites, les fusillades, c’est pour enrober. Le vrai thème, c’est l’amnésie.

Bref, il va à Zurich et là, dans un parc, il tabasse deux policiers suisses qui ne lui ont rien fait. Tu te rends compte ! Ça se fait trop pas, ou bien ? Ensuite, il met le souk dans le consulat américain. Ça, on peut comprendre. Et pour finir, il va à Paris, toujours pour deviner qui il est. Il n’aura aucune réponse mais il rencontre Marie, l’amour de sa vie. Il y a plein de gens qui veulent le tuer et on devine peu à peu que ces méchants sont de la CIA. En fait, depuis les Trois jours du Condor, c’est toujours la même histoire. Il y a une division clandestine à l’intérieur de l’Agence qui n’arrête pas de comploter et quand elle est démasquée, elle tue les gentils et honorables espions. Comment ça, six ? Les six jours du Condor ? Ah oui, le roman. Mais dans le film, ils ont ramené ça à trois. Une histoire de budget, sûrement. Bon, je termine avec la première partie. Jason devine peu à peu qu’il faisait partie d’un programme secret d’assassinat et que ça c’est mal passé pour lui quand il a dû tuer Wombosi, un dictateur africain. Comme si la CIA tuait les potentats… Tiens, à propos, tout le monde dit du bien d’Elise Lucet, la journaliste d’investigation. C’est mérité mais j’ai eu du mal à m’y faire. En 2003, elle a reçu dans son journal un ancien de la CIA qui a justifié l’attaque de l’Irak en disant que l’Amérique rendait souvent service au monde en le débarrassant des dictateurs. Il a cité pour l’exemple Lumumba et elle a sourit sans rien dire…

La deuxième partie est la moins réussie de la série mais on a des images superbes de Berlin. Au début, Jason est en Inde, je crois. Un tueur flingue Marie et il va donc devoir la venger. Dans cet épisode, les vrais héros sont les villes. D’abord Berlin, ensuite Moscou. On a droit à des courses-poursuites, à des fusillades et Jason montre à chaque fois qu’il sait tout faire : parler allemand ou russe, se soigner et piéger ses ennemis. Pour le reste… Le méchant de la CIA se suicide et on comprend qu’il va y avoir une suite parce que Bourne n’a toujours pas retrouvé la mémoire même s’il a quelques flashbacks. A propos de suicide, c’est un grand classique de ce genre de films. J’imagine que l’Agence impose ça aux scénaristes et aux réalisateurs. Une obligation du genre, on veut bien que vous disiez qu’il y a des fruits pourris chez nous mais arrangez-vous pour que l’honneur soit sauf à la fin. 

Mon préféré, c’est le troisième épisode. Bon, là encore, on ne comprend pas tout sauf qu’il y a une série de programmes clandestins à la CIA et que plein de chefs sont mouillés. Et on voyage toujours autant avec Jason. D’abord, à Londres où un pauvre journaliste du Guardian se fait butter. Ensuite, à Tanger. Et là, c’est un grand moment de cinéma. Il y a une course-poursuite sur les toits de la ville. La police locale court après Jason lequel course un tueur professionnel envoyé par la CIA pour le zigouiller. C’est assez spectaculaire on a jamais vu Tanger filmée comme ça. Ce qui est amusant, c’est d’entendre les phrases en marocain. Le tueur, qu’on appelle « l’asset » ou l’atout ( !), c’est un arabe nommé Desh. A une voyelle près, hein... Il se bat bien mais Jason l’éclate dans des toilettes turques. Juste avant ça, il lui explose le visage en lui collant dessus un livre de cuisine marocaine et en le cognant comme un sourd. J’aime bien ce genre de clins d’œil. Au cinéma, tu ne peux pas t’en rendre compte, ça va trop vite. Mais avec un dvd, tu fais défiler les images au ralenti et tu peux lire le titre en arabe. Je reviens à la poursuite. J’aimerais bien savoir comment tout ça s’organise avec les autorités du coin. Est-ce qu’il s’agit de vrais flics ou de figurants ?

Après Tanger, Jason va à New York et il y retrouve un peu de son passé. C’est un soldat qui a été enrôlé dans un programme d’assassinats clandestins et qui a été traité sur le plan médical pour devenir une super machine à tuer. L’agent qui le traque mais qui l’aide aussi est la même que dans le deuxième épisode. Prénom, Paméla… La dernière fois à Alger, j’ai traité un type mal garé de Pamela, il m’a regardé avec de gros yeux. Trop jeune pour avoir vu Dallas… Bon, pour finir avec cet épisode, Jason se fait tirer dessus et il plonge dans l’East river. On se dit que la boucle est bouclée, que la saga a commencé avec un corps dans la Méditerranée et qu’elle va finir avec le même corps coulant dans des eaux bien plus noires. Et là, tu as cette scène culte où l’une de ses amies entend à la radio qu’on n’a pas retrouvé son corps. Elle sourit. Et, juste après, c’est « Extrême ways » de Moby qui démarre avec Jason qui remonte vers la surface… Du beau cinoch !

Je te raconte tout ça parce que je viens de voir le quatrième. Mouais… Bôf. Jason tire la tête comme pas possible et il est pisté par un gars échappé du film La Haine. On a droit à quelques scènes bien ficelées d’émeutes à Athènes, autrement dit la crise grecque revue et corrigée par Hollywood. Ensuite, on va à Berlin où Bourne démolit un lanceur d’alertes français qui s’appelle Christian Dassault... Je ne sais pas si c’est un message subliminal mais tu comprends vite que la série est en train de devenir docile. Le Dassault est un personnage antipathique et le message pour le spectateur ricain est clair : les lanceurs d’alerte comme Snowden et Manning sont des traîtres et même un outsider comme Bourne ne peut être de leur côté. On a tout de même droit à une belle poursuite sur le strip de Las Vegas (Poker d’As, Tobias, Beladas, Pôf…) et, cette fois, une casserole en cuivre collée contre la sale gueule de l’atout remplace le livre de cuisine marocaine. Bref, les choses se normalisent pour Jason qui sait enfin, ou presque, qui il est et d’où il vient. Il ne rentre pas dans le rang mais on se dit que la prochaine fois, il travaillera sûrement main dans la main avec l’Agence et qu’il ira faire un tour du côté de Bagdad ou de Damas…
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mardi 20 septembre 2016

La chronique du blédard : Le mystère Ben Laden


Le Quotidien d’Oran, jeudi 8 septembre 2016
Akram Belkaïd, Paris

Ce dimanche, cela fera quinze ans depuis les attentats du 11 septembre à New York et à Washington. Il est à peine nécessaire de rappeler quel impact ces attaques ont eu sur la marche du monde. La situation chaotique que l’on connaît aujourd’hui au Proche-Orient, notamment en Irak, est la conséquence d’une suite d’événements qui ont pour point de départ la destruction des tours jumelles. On sait que le 11 septembre 2001 fait partie des principaux thèmes dont se sont emparés les « complotistes » de tous genres. Certains doutent de la thèse officielle selon laquelle c’est l’organisation Al Qaeda qui est l’auteure de ces actes criminels. D’autres, jurent que le World Trade Center n’a jamais été percuté par des avions et tout ce monde est très actif sur la toile.

Depuis le printemps 2011, les conspirationnistes ont de nouveau arguments pour affirmer que « la vérité est ailleurs » comme l’affirmait la devise de la série X-Files laquelle s’est beaucoup nourrie des théories du complot et de la défiance du grand public à l’égard des gouvernements et de leurs services secrets. De fait, l’exécution extrajudiciaire, dans la nuit du 1er au 2 mai 2011, d’Oussama Ben Laden à Abbottabad au Pakistan, par un commando militaire américain demeure un événement entouré de zones d’ombres, d’interrogations et de manipulations. Certes, personne, ou presque, ne nie la disparition de celui dont la tête fut mise à prix par l’Amérique pour un montant de 25 millions de dollars. Il y a bien quelques farfelus qui jurent que l’homme coule des jours heureux à Dubaï ou en Malaisie mais Al Qaeda a elle-même reconnu le décès de son fondateur.

Rappelons la version officielle concernant cet « acte de justice » tel que l’a qualifié Barack Obama lors de la convention du parti démocrate en juillet dernier. C’est en recherchant l’un des messagers de Ben Laden que la CIA aurait réussi à localiser ce dernier. Une fois l’identification confirmée, il ne restait plus qu’à monter une opération clandestine menée par les commandos des forces navales américaines, les fameux SEAL’s (SEa, Air and Land Teams). Cette histoire, cette « légende » disent ses contempteurs, est d’ailleurs reprise sans nuances par le film Zero Dark Thirty de Kathryn Bigelow qui restera dans l’histoire comme le parfait exemple des liens incestueux entre Hollywood et la CIA (on y reviendra).

En réalité, et comme l’a prouvé un long article du journaliste d’investigation Seymour Hersh, ce récit est hautement improbable ou, du moins, il ne répond pas à des questions fondamentales (*). Cela concerne, entre autre, l’endroit où se trouvait la propriété abritant Ben Laden. Abbottabad est un lieu de villégiature au Pakistan où vivent de nombreux officiers supérieurs, d’active ou à la retraite, et où se trouve la principale académie militaire du pays, une sorte de « West Point » pakistanais. On a peine à croire que les autorités pakistanaises pas plus que l’ISI, les services secrets, ne savaient pas que l’homme le plus recherché du monde vivait tranquillement à moins de trois kilomètres de cette académie ( !).

On a aussi du mal à croire que deux hélicoptères transportant les SEAL’s aient pu pénétrer l’espace aérien pakistanais sans être repérés. Le doute s’accentue quand on sait qu’une fois l’opération (très bruyante) terminée, un seul hélicoptère (l’autre s’étant écrasé sur le lieu de l’intervention) a pu repartir sans jamais être inquiété et avec à son bord tous les commandos, la dépouille de Ben Laden et ses documents qui ont été récupérés durant l’opération). Les questions qui suivent restent donc sans réponse : Ben Laden était-il à Abbottabad sous la protection ou sous la surveillance (ou les deux à fois) des Pakistanais ? Et, quelle que soit la réponse, comment se fait-il que ce grand allié des Etats Unis ait pu prendre un tel risque vis-à-vis d’un partenaire qui lui fournit des aides militaire et diplomatique conséquentes ? De plus, comment se fait-il que le chef d’Al Qaeda vivait sans garde rapprochée ? Enfin, que savaient les autorités saoudiennes quand on connaît les liens forts qui existent entre le royaume wahhabite et le Pakistan ?

Il y a d’autres questions comme celles qui concernent l’étrange inhumation de Ben Laden dans l’océan indien après que sa dépouille a été transférée sur le porte-avion USS Carl Vinson (une cérémonie dont on attend encore les photos malgré les promesses de la Maison Blanche en 2011). Mais, la plus importante concerne la manière dont le chef d’Al Qaeda a été localisé. Seymour Hersh affirme, sans le prouver, qu’il a été dénoncé par un gradé pakistanais qui aurait touché une partie de la rançon avant de s’installer à Washington. La version officielle explique, comme indiqué plus haut, que c’est en repérant son « courrier » que la CIA a pu le repérer. Une explication bien commode qui présente notamment l’avantage de légitimer les actes de torture, dont les sordides simulations de noyade (waterboarding), pratiquées par l’agence américaine sur des milliers de suspects. En effet, et c’est le message que reprend à son compte le très docile Zero Dark Thirty : sans la torture, personne n’aurait livré le nom de ce messager et, sans ce nom, l’exécution de Ben Laden n’aurait pas eu lieu.

Sans oublier l’aspect moral mais aussi légal, le programme de torture mené dès 2011 contre les personnes suspectées d’appartenir à Al Qaeda, a été beaucoup critiqué aux Etats Unis pour son manque « d’efficacité », les renseignements récoltés étant, de l’aveu de nombreux cadres de la CIA, peu exploitables. Le récit officiel de la liquidation de Ben Laden a balayé ces critiques tandis que le film Zero Dark Thirty s’est chargé de populariser ce qui apparaît désormais comme étant « la » vérité » auprès du grand public.
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La chronique du blédard : Voile, évolution et paternalisme colonial

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 1er septembre

Akram Belkaïd, Paris

Deux femmes en hidjab sont chassées d’un restaurant de la région parisienne par un chef étoilé qui les traite de « terroristes » et qui menace de les empoisonner si elles persistent à vouloir être servies. Comme il fallait s’y attendre, l’histoire a embrasé les réseaux sociaux et la vidéo de l’incident a tourné en boucle. A l’inverse, les médias traditionnels, notamment les télévisions, sont restés plutôt discrets et n’ont pas insisté. On pourrait se réjouir de cette retenue car, après tout, il ne s’agit que d’un simple fait divers même si la violence des propos du toqué est inadmissible. De nombreux internautes ont d’ailleurs appelé au calme et demandé à ce que cette affaire ne prenne pas une dimension exagérée. Le problème, c’est que l’histoire intervient juste après l’hystérie à propos du burkini et il n’est pas faux d’estimer que télévisions, presse écrite et radios, n’ont soudain retrouvé leurs esprits et l’éthique du métier que parce qu’il s’agissait de deux femmes voilées… Car, après tout, pourquoi ne pas consacrer des dizaines d’émissions à cet acte raciste et islamophobe quand tant d’autres ont eu pour sujet principal le désormais « maillot islamique » (appellation erronée mais sur laquelle on reviendra en fin de texte) ?

Restons encore sur cette affaire de restaurant – lequel a subi une avalanche de représailles sur internet, étant notamment présenté dans certains guides en ligne comme un élevage de porcs ou un lieu infesté de cafards. L’une des réactions de la fachosphère à cette affaire mérite d’être relevée. Quel argument ont trouvé les petits nazillons qui activent en force et en meutes sur la toile ? « De toutes les façons, votre religion [comprendre l’islam] vous interdit de sortir seules sans être accompagnées par un homme et de fréquenter des lieux où l’on sert de l’alcool » a ainsi écrit l’un d’eux à l’adresse des deux femmes. D’autres, aussi intelligents que lui, ont ironisé sur le fait qu’elles entendaient manger dans un restaurant sans produit hallal. Restez à votre place, restez archaïques, ne quittez pas la (supposée) case intégriste, tel est le message.

Ces réactions ne sont pas anecdotiques. J’en en retrouvé l’écho, plus ou moins dissimulé, dans les écrits d’éditorialistes longtemps dits de gauche mais qui basculent de plus en plus dans le camp vert de-gris en donnant du crédit à la théorie de « l’islamisation de la France » ou à celle du « grand remplacement » [celui des Français de souche par les immigrés musulmans]. Etrange conception des choses, n’est-ce pas ? Si une femme porte le hidjab, c’est donc qu’elle n’a pas le droit d’aller où bon lui semble. C’est ce que pensent les fondamentalistes et les rétrogrades. Mais dans le cas présent, il s’agit de l’avis de personnes qui ne cessent de se lamenter sur le triste sort des musulmanes. En réalité, ce qui leur est insupportable, c’est le brouillage du schéma binaire habituel. C’est l’idée que, voile ou pas, il y a qu’on le veuille ou non, une évolution moderniste chez celles qui le portent. Ces dernières veulent participer à la vie de la cité, ni plus ni moins : sortir, travailler, avoir des loisirs. Et il est vrai, qu’en cela, elles transgressent la vision intégriste de l’islam. Au lieu de s’en réjouir et de se dire que cette évolution mènera tôt ou tard à encore plus de sécularisation des populations concernées, nombreux et nombreuses sont celles qui refusent la réflexion et se contentent de faire de l’abandon du voile une exigence et un préalable absolus.

Cette « évolution », certes discutable car elle est pleine de contradictions, concerne aussi le burkini (on ne parle pas ici de ces femmes qui vont à la plage en burqa comme le présent chroniqueur l’a raconté dans l’un de ses textes à propos du littoral maghrébin). Si l’on s’en tient à une lecture fondamentaliste de l’islam, le burkini n’est pas absolument pas halal (licite). Durant la polémique, peu de personnes ont relevé le fait que son port allait même à l’encontre des prescriptions de nombre de serial-fatwayeurs cela sans parler des groupes armés radicaux dont la réaction serait d’exécuter les femmes qui le portent. Question : est-il préférable qu’une femme reste à la maison ou qu’elle puisse aller à la plage en portant ce maillot conçu par une designer australienne ? Bien entendu, il ne s’agit pas de faire l’ingénu et de garder en tête que ce qui pose problème avec le burkini ce n’est pas qu’il est parfois le seul moyen pour que des femmes puissent aller à la plage mais qu’il devienne surtout le vêtement de bain obligé (et imposé) de celles qui, jusque-là, n’avaient aucun problème pour se baigner en maillot classique.

Terminons cette chronique en évoquant la naissance annoncée de la « Fondation de l’islam de France ». Il faudra revenir sur ce concept fumeux « d’islam de France » mais, pour l’instant, relevons que sa présidence va échoir à l’ancien ministre de l’intérieur Jean-Pierre Chevènement. L’homme est respecté et respectable mais sa nomination pose tout de même un problème de fond. Pourquoi pas un musulman à la tête de cette structure ? Est-ce pour rassurer l’électeur qui se dit ainsi que les musulmans de France seront « bien tenus » ? Ou alors, est-ce que parce que le gouvernement français estime qu’il n’existe pas de personnalité à la fois laïque et de culture musulmane susceptible de faire l’affaire (et de ne pas affoler l’opinion publique) ? Si tel est le cas, on se dit que le bilan de cinquante ans de politique d’intégration doit être bien maigre si un tel profil est impossible à trouver. En réalité, on retombe dans ce qui est le mal profond de la relation de l’Etat français à l’islam : la matrice coloniale et sa vision paternaliste sont toujours là et ce n’est pas la présence au conseil d’administration de la Fondation de l'écrivain Tahar Benjelloun, béni-oui-oui multidirectionnel, qui prouve le contraire…
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La chronique économique : Le serpent de mer de la dépense publique

Akram Belkaïd, Pari
Le Quotidien d'Oran, mercredi 7 septembre 2016


Il y a bientôt huit ans, c’était à la fin de l’été 2008, la planète encaissait une grave crise financière qui allait mettre au tapis nombre d’établissements bancaires et enrayer durablement la croissance mondiale. Aujourd’hui, la situation reste incertaine. Rares sont les indicateurs macro-économiques globaux qui sont revenus à leurs niveaux d’avant la tempête. L’activité reste atone dans de nombreuses zones à commencer par l’Europe. De nombreux pays émergents sont en panne tandis que le chômage et les inégalités continuent de progresser un peu partout. Face à cette situation, les économistes et les décideurs politiques ne savent plus quel chemin prendre. Longtemps présentée comme « la » solution devant mener à la reprise, la politique monétaire plus qu’accommodante a montré ses limites. Certes, en baissant leurs taux et en injectant de l’argent en permanence dans les économies, tout en rachetant aux Etats leurs créances, les Banques centrales ont certainement empêché un vrai cataclysme. Mais, aujourd’hui, le remède ne fait guère plus d’effet et le patient, autrement dit l’économie mondiale, reste très faible.

L’Etat appelé à l’aide

C’est dans cette situation inquiétante pour l’avenir que de nombreuses voix se font entendre pour réclamer des politiques étatiques plus ambitieuses. Qu’il s’agisse du Fonds monétaire international (FMI) ou de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le message est le même : il faut d’urgence une augmentation des dépenses publiques. Autrement dit, c’est le retour en grâce de la doctrine keynésienne. L’Etat se voit de nouveau confier le statut de dernier recours, celui de l’acteur de la dernière chance qui investit pour relancer la machine économique et engendrer un cercle vertueux où chaque dollar dépensé serait caractérisé par un haut coefficient multiplicateur (c’est-à-dire qu’il provoquerait des investissements en cascade tous profitables à la croissance du Produit intérieur brut). Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les deux principaux candidats à la présidentielle américaine, Hillary Clinton et Donald Trump, évoquent dans leurs programmes la nécessité de lancer de grands travaux d’infrastructures pour relancer l’économie et augmenter les impôts.

Et les entreprises ?

Ce n’est pas la première fois que le recours à la dépense publique est présenté comme la solution idéale. Pour autant, cela intervient dans un contexte où la règle résidait dans le respect du dogme de l’assainissement des comptes et de l’application de politiques d’austérité. La question qui se pose aujourd’hui est de savoir comment augmenter la dépense publique quand les Etats ont perdu une bonne partie de leurs moyens budgétaires. Doivent-ils s’endetter ? Et, si oui, auprès de qui ? Du marché ? Des épargnants ? Doivent-ils augmenter les impôts ? Et, si oui, de quelles catégories ? Les ménages ou les entreprises ? Les réponses ne sont pas neutres et obligent à aller plus loin que la simple exigence d’augmentation des dépenses publiques. Cela d’autant plus que l’argent ne manque pas. De nombreuses entreprises, notamment les multinationales, ont amassé des tonnes de cash dont elles se servent pour mieux rémunérer leurs actionnaires, pour racheter leurs propres actions (ce qui fait augmenter mécaniquement leurs valeurs boursières) ou pour racheter des concurrents. A l’inverse, ces entreprises investissent peu au prétexte que la confiance n’est pas au rendez-vous. Les grandes institutions internationales le savent mais l’idée que les Etats puissent légiférer pour obliger (ou encourager) le secteur privé à investir quand il a autant de moyens financiers ne fait pas (encore) partie de leurs propositions.