Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

lundi 27 mars 2017

La chronique de l’économie : C’est l’économie, idiot !

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Le Quotidien d’Oran, mercredi 21 mars 2017
Akram Belkaïd, Paris

Bien qu’ils soient très décriés, les sondages en période de campagne électorale offrent toujours des enseignements précieux. Concernant la présidentielle française, l’un d’eux revient sur les attentes des électeurs en matière d’économie (*). Et il s’avère que la majorité d’entre eux considère justement que les enjeux économiques sont leur principale priorité. Trois thèmes reviennent en force : L’emploi, la protection sociale et le pouvoir d’achat. Seuls les électeurs du Front national demeurent persuadés que c’est l’immigration qui prime sur tout puisque ce dossier engloberait le reste. On voit là à quel point il est facile pour Marine Le Pen de faire campagne. L’immigration brandie en permanence permet de répondre à toutes les attentes y compris économiques…

Le poids de la précarité

Il n’est pas besoin d’être un expert en sciences économiques pour comprendre pourquoi l’emploi est la question numéro un pour les Français. Cela fait plus de trente ans que c’est le cas et toutes les politiques censées redonner du travail aux chômeurs ont échoué. Plus grave encore, la précarité pour les actifs tend à se généraliser du fait des nouvelles pratiques des entreprises. Considéré comme le but à atteindre, le contrat à durée illimitée (CDI) fait désormais figure de Graal impossible pour nombre de jeunes précaires, y compris des diplômés de l’enseignement supérieur. Dans plusieurs secteurs des services, le phénomène d’externalisation prend de l’ampleur. Des salariés sont conviés – le mot est faible – à démissionner et à « créer leurs boîtes » voire à passer sous le statut d’auto-entrepreneur. Pour les entreprises, cela permet de diminuer les charges. Pour les ex-salariés, c’est la porte ouverte à tous les risques sans oublier le fait qu’ils seront pénalisés sur le plan des acquis sociaux (obligation de cotiser par eux-mêmes pour la retraite notamment).

Concernant l’emploi toujours, il est fascinant de voir à quel point s’est installée une certaine résignation sur la question de la précarité. Même l’Etat français et ses différentes branches y ont recours avec excès. Dans toutes les administrations, dans les services publics, on use et abuse des contrats à durée déterminée (CDD). Ne parlons pas non plus de la flexibilité des horaires tandis que, et la tendance ne date pas d’hier, des services de contrôle, comme par exemple, l’inspection du travail sont peu à peu affaiblis. C’est un cercle vicieux global. L’Etat se désengage, il accorde plus de champ aux entreprises, lesquelles, entre l’optimisation fiscale et les pratiques managériales destinées à alléger les charges, versent moins de cotisations. Comme l’Etat est alors incapable d’assumer sa mission, il délègue puis privatise.

Ainsi, et cela rejoint la question de la protection sociale, l’un des vrais enjeux dans les années à venir pour la France est l’avenir de sa sécurité sociale. Officiellement, tous les candidats veulent préserver le système qui ploie sous les dépenses. En réalité, la mécanique infernale est déjà enclenchée. Les mutuelles, et plus encore, les sociétés d’assurance, sont en embuscade et activent dans l’ombre pour s’emparer du gâteau. Bien sûr, personne n’osera proclamer qu’il veut vendre « la sécu » car c’est là tout l’art de la politique. Mais mesure après mesure, on se dirige vers un affaiblissement de la structure, on la fait « maigrir » et, in fine, on proclamera qu’elle en peut survivre sans apport de capital frais (et privé).

Salaires en berne, inégalités en hausse

La question du pouvoir d’achat, et donc des salaires, est elle aussi centrale. Dans un contexte où la mondialisation a eu pour effet de lisser les revenus des classes moyennes (on dira aussi qu’elle a contenu l’inflation…), la parade de ces deux dernières décennies a été de recourir au crédit en guise de compensation. Le problème, c’est que le système atteint ses limites et que les dynamiques de consommations se tassent. A force de priver les ménages de ressources, le capitalisme est en train de se pénaliser lui-même. Les inégalités se creusent, les rémunérations des actionnaires augmentent et les plus riches voient leur patrimoine augmenter. Dans une telle situation, on se demande comment les explosions sociales ne sont pas plus nombreuses.

(*) « Les Français et les programmes politiques », sondage OpinionWay réalisé les 1er et 2 mars 2017 sur un échantillon de 1 039 personnes. www.printempsdeleco.fr

Note : le titre de cette chronique fait allusion au fameux slogan de Bill Clinton lors de sa campagne électorale victorieuse de 1992 face à George H. W. Bush. Ce slogan, « it’s the economy, stupid » est attribué à son conseiller James Carville et il était destiné à contrer le discours électoral de Bush qui insistait sur la victoire militaire américaine durant la première guerre du Golfe (février-mars 1992)
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