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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

vendredi 3 mars 2017

La chronique du blédard : Relire la révolution de Février

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 02 mars 2017
Akram Belkaïd, Paris

Quelles leçons peut-on encore tirer des deux révolutions russes de 1917, celle de Février et celle d’Octobre ? Dans un entretien publié par le magazine hebdomadaire russe Expert et dont plusieurs extraits ont été repris par l’hebdomadaire français Courrier international (numéro du 23 février 2017), l’historien Alexandre Choubine livre une analyse qui éclaire ces événements majeurs du début du XXème siècle mais qui permet aussi de réfléchir à des bouleversements plus récents. On pense notamment à la période immédiate qui a suivi la chute du régime du président tunisien Zine el Abidine Ben Ali, en janvier 2011, avec les tentatives de certaines élites de confisquer le pouvoir en évitant (en vain) l’élection d’une Assemblée constituante au prétexte que les « masses populaires » n’étaient pas prêtes pour la démocratie.

Pour commencer, Choubine relève que, contrairement à ce que disait Marx, les révolutions ne sont pas « les locomotives de l’Histoire » mais ses « béliers ». « Lorsque le développement d’une société se heurte à des obstacles systémiques, la révolution n’agit pas comme une locomotive qui tire les wagons, mais comme un bélier qui casse le mur empêchant d’avancer. » Ces lignes expliquent aussi le déclenchement de la Guerre de libération algérienne en 1954 dans un contexte de blocage total et de refus systématiques des réformes par les lobbies coloniaux qui « tenaient » le pays.

L’historien revient ensuite sur la Révolution russe de 1905 pour rappeler qu’elle fut, avant les protestations menées par Gandhi, « le premier mouvement de désobéissance civile de l’Histoire. » A l’époque, la grève qui paralyse la Russie pousse le pouvoir tsariste à faire des concessions qui, paradoxalement, lui sauvent la mise. « C’est justement parce que le pouvoir [personnalisé par le Serge Witte, ministre puis chef du gouvernement sous Nicolas II] a cédé en octobre que, en décembre 1905, les révolutionnaires n’ont pas pu rassembler une masse critique. Parce qu’une grande partie de la population s’est dit : ça suffit, nous avons déjà obtenu beaucoup. » Cette question des concessions est fondamentale. Décidées trop tard, elles ne servent à rien. Formulées alors que la société est encore sous le choc de la révolution, elles peuvent offrir une échappatoire à l’ancien régime ou bien alors permettre son maintien sous d’autres formes. Exemple : en octobre 1988, la société algérienne a refusé d’aller à l’affrontement avec le pouvoir parce qu’elle estimait que les réformes proposées (fin du parti unique, pluralisme de la presse) étaient suffisantes et que le sang ne devait plus couler.

Mais souvent, ces concessions ne ciblent pas l’essentiel et passent à côté des attentes des classes populaires. Ainsi, dans la Russie de 1905, relève Alexandre Choubine, la question sociale a été négligée et c’est ce qui, entre autres, a mené à la révolution de février 1917. « La révolution de Février a été orchestrée par une partie de l’élite qui a organisé un coup d’Etat et renversé le tsar (…) Et une fois de plus la question sociale a été ignorée. Erreur fatale, car la révolution de 1917 n’a pas éclaté comme une suite de celle de 1905, elle en a été l’approfondissement. » On retrouve-là une donnée souvent ignorée dans ce genre de bouleversements majeurs. Le rôle-clé des élites qui, pour une raison ou une autre, lâchent le pouvoir en place (tsar, Ben Ali, etc.) parce que l’immobilisme de ce dernier a fini par les pénaliser (et à mettre en danger leurs privilèges).

C’est cet approfondissement de la révolution de 1905 que les élites libérales russes vont tenter de monopoliser quitte à renier leurs convictions et à s’aliéner le reste de la population. C’est ce qu’explique Alexandre Choubine : « Le libéralisme, victorieux en février 1917, a été immédiatement fortement affaibli parce qu’il avait entrepris d’agir contre ses principes (…) Quelle était sa revendication durant la période précédant la révolution ? Un Etat responsable. C’est-à-dire un Etat dépendant du Parlement. Or, toute en promettant de faire élire à échéance indéterminée une assemblée constituante, ils ont pratiqué liquidé l’ancienne Douma [créée en 1905] et concentré tous les pouvoirs entre les mains du gouvernement provisoire, y compris le pouvoir législatif. En d’autres termes, ils ont installé une autocratie, l’autocratie du gouvernement provisoire. »

Un blocage qui va mener à la révolution d’Octobre 1917 et à la victoire des bolchéviques menés par Lénine. « Une fois que la révolution a commencé, il devient impossible de l’arrêter, il faut donc mener les réformes sociales au profit des masses révolutionnaires. Dans l’idéal, il vaut mieux le faire avant que la révolution n’ait commencé (…) Au final, les bolchéviques, en s’appuyant sur les franges les plus désespérées, les plus dynamiques et les plus militarisées de la population, ont pris le pouvoir et ont entamé en solitaire des réformes radicales. Contre tous les autres. »

Bien entendu, comparaison n’est jamais raison surtout quand il s’agit d’histoire. Mais l’exemple russe mériterait d’être médité en Tunisie. En 2011, les premiers gouvernements de transition ayant suivi la chute de Ben Ali ont tenté, de manière plus ou moins affirmée, d’empêcher l’élection d’une Assemblée constituante. Aujourd’hui, et alors que le pouvoir tunisien est la convergence de diverses forces de droite, la question sociale demeure préoccupante. Cela à l’heure où les fonctionnaires du Fonds monétaire international (FMI) ont repris le chemin de Tunis. En Russie, 1905 a préparé 1917. Faut-il penser qu’en Tunisie, une autre révolution fera écho, tôt ou tard, à celle de 2011 ?

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